[298]. Déclaration de politique générale : éclairage sur un exercice qui fait polémique
Au Sénégal, une polémique est en cours entre le gouvernement et l’Assemblée nationale sur la Déclaration de Politique générale (DPG), que les députés attendaient du premier ministre Ousmane Sonko. C’est quoi la DPG et quelle est la source de la polémique ?
La Déclaration de Politique générale (DPG) est l’exercice par lequel un nouveau premier ministre, présente aux députés les grands axes de la politique qui sera mise en œuvre sous sa direction. Ousmane Sonko ayant été nommé premier ministre le 2 avril 2024, le communiqué du Conseil des ministres du 5 juin 2024 avait annoncé qu’il se soumettrait à l’exercice « au cours des prochaines semaines » sans fixer de date précise.
La Déclaration de politique générale, une obligation légale
Au Sénégal, la Déclaration de Politique Générale est prévue par la Constitution adoptée le 22 janvier 2001. L’article 55 de ce texte dispose qu’« après sa nomination, le Premier Ministre fait sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale. Cette déclaration est suivie d’un débat qui peut, à la demande du Premier Ministre, donner lieu à un vote de confiance. En cas de vote de confiance, celle-ci est accordée à la majorité absolue des membres de l’Assemblée nationale ».
Dans sa version de 2002, les articles 97, 98 et 99 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale organisaient respectivement la « Déclaration de Politique générale », la « Question de confiance » et la « Motion de censure ».
La question de confiance est le vote par lequel les députés décident d’accorder ou non leur confiance au premier ministre et à son gouvernement. Elle est à l’initiative du Premier ministre lui-même tandis que la motion de censure est enclenchée par les députés.
Entre l’année 2000, date de la première alternance au Sénégal depuis l’accession du pays à l’indépendance et l’année 2024 – année d’entrée en fonction du dernier Premier ministre du régime du président Macky Sall qui a pris fin en avril 2024 – onze Premiers ministres se sont succédé au poste.
En dehors de Me Sidiki Kaba, tous les premiers ministres ont présenté une Déclaration de Politique générale devant l’Assemblée nationale (Voir l’infographie ci-dessous).
Sidiki Kaba, nommé le 6 mars 2024 dans un contexte de crise politique et institutionnelle, à la veille d’un scrutin pour une période qui ne pouvait excéder un mois, n’a pas présenté de DPG.
Quid de la motion de censure ?
La motion de censure, liée à la déclaration de politique générale du Premier ministre, a été enclenchée en 2022 contre le Premier ministre Amadou Ba, à l’initiative des députés de l’opposition d’alors réunis autour de la coalition Yewwi Askan Wi (Coalition de l’actuel premier ministre Ousmane Sonko, alors dans l’opposition). La majorité avait voté contre. Il s’y ajoute qu’au moment de l’examen de cette motion de censure, la disposition qui l’organise avait été supprimée du Règlement intérieur de l’Assemblée, suite à une réforme constitutionnelle en 2019.
En 2012 aussi, une motion de censure avait été initiée, sans succès, contre le Premier ministre Abdoul Mbaye par les députés de l’opposition.
La Première ministre Mame Madior Boye avait elle aussi été confrontée en 2002, à une motion de censure sur initiative des députés de l’opposition. Mais la majorité parlementaire autour du PDS avait voté contre.
Origine de la polémique actuelle.
En 2019, le président de la République Macky Sall décide de la suppression du poste de premier ministre. La Constitution est ainsi modifiée et la loi organique portant Règlement intérieur de l’Assemblée nationale est mise à jour avec l’adoption de la loi organique 2019-14 du 20 octobre 2019. L’article 3 de cette dernière loi supprime plusieurs dispositions notamment l’article 97 en ces termes : « Au titre 3, sont abrogées les dispositions des articles 97, 98 et 99. En conséquence, sont supprimés les chapitres XXII, XXIII et XXIIII ».
Au cours de cette modification, toutes les dispositions relatives à l’engagement de la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale ont été supprimées.
Lorsque le président Macky Sall a institué à nouveau le poste de Premier ministre en 2022, cette décision n’a pas été suivie par une mise à jour du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
Le Premier ministre Amadou Ba se présentera néanmoins devant les députés le 12 décembre 2022 pour faire sa Déclaration de Politique Générale. L’opposition de l’époque, aujourd’hui au pouvoir, en profitera également pour introduire une motion de censure. Aucune disposition n’existait à cette époque dans les textes de l’assemblée nationale pour encadrer ces deux actes.
La Déclaration de Politique Générale, bien qu’étant obligatoire pour tout premier ministre en vertu de l’article 55 de la Constitution, n’est plus soumise au délai de trois mois, faute de texte qui l’encadre dans le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale. La disposition qui fixait ce délai ayant été supprimée lors de la réforme constitutionnelle de 2019.
Du poste de Premier ministre au Sénégal
Le poste de Premier ministre a été souvent supprimé et rétabli au Sénégal.
Au lendemain des indépendances, le Sénégal disposait d’un Président de la République et d’un Président du Conseil assimilable à l’époque, au poste de Premier ministre actuel.
Suite à une crise en 1962, le Président de la République Léopold Sédar Senghor réforme la Constitution en 1963 et supprime le poste de Président du Conseil qu’occupait Mamadou Dia.
En 1970, le poste de Premier ministre est institué. Abdou Diouf occupera le poste nouvellement créé jusqu’au départ du président Senghor, en décembre 1980. Devenu Président après Senghor, Abdou Diouf supprime de nouveau le poste en 1983. En 1991, il ramène le poste qui reste dans l’architecture institutionnelle du pays jusqu’en 2019, date à laquelle le président Macky Sall annonce à nouveau sa suppression avant de le rétablir une nouvelle fois en 2022.
Cet article a été publié en collaboration avec Ouestaf News