[304]. Les défis d’une régulation des deux-roues au Sénégal
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Le 19 janvier 2025, le forum du Divan Citoyen a accueilli deux invités pour tenir une conversation sur la régulation de l’activité des cyclomoteurs, encore appelés deux-roues. On ne pouvait trouver meilleurs interlocuteurs que Latyr DIOUF et Moustapha GUEYE. Latyr est entrepreneur et intervient dans la livraison tandis que Moustapha est consultant en sécurité routière certifié ISO 39001 et par ailleurs conseiller technique en sécurité routière du ministre des transports. Nous vous proposons, dans les lignes qui suivent, un résumé de la conversation que vous pourrez écouter en intégralité en cliquant ici
A l’origine, une circulaire pas tout à fait « comprise »
De l’avis de tous les intervenants, le secteur des deux-roues est dans une désorganisation sans pareille et avec une croissance très rapide. Il est aujourd’hui difficile de distinguer celui qui s’adonne au transport de personnes, du livreur de marchandises et de l’usager à titre personnel. Il est vrai qu’avec la crise de l’emploi, de nombreux jeunes se sont tournés vers ce métier, venant des terroirs ou même de l’étranger. N’empêche, l’interdiction faite aux motocyclistes d’assurer le transport de personnes reste encore effective, exception faite du champ ouvert en 2022 par une circulaire du ministre du transport de l’époque Mor NGOM.
En effet, le 29 octobre 2022, un arrêté ministériel portant règlementation des vélos-taxis dans les régions avait été signé. Il comportait un certain nombre de formalités et d’obligations, notamment l’obligation de porter, en circulation un casque de sécurité ainsi que le passager transporté. Il leur était interdit de desservir les aéroports et hôtels, d’assurer les liaisons interurbaines ou sur tout autre axe faisant l’objet d’une interdiction de l’autorité compétente. Les deux-roues ne pouvent enfin transporter un passager devant le conducteur, dans la position dite en amazonie ou un passager avec un enfant. Cet arrêté court toujours et pourrait être en partie responsable de la situation qu’on connait actuellement à Dakar la capitale et dans plusieurs autres villes du Sénégal.
L’activité des deux-roues, à Dakar et dans les différentes régions du Sénégal est de plus en plus diversifiée, ce qui est à l’origine de la désorganisation du secteur. De l’avis des spécialistes, il est aujourd’hui très difficile de distinguer les deux-roues qui assurent le transport de personnes de ceux qui sont dans la livraison de marchandises ou même à usages personnels. Leur nombre a également connu une croissance exponentielle. De visu, l’on remarque un grand nombre de deux-roues au Sénégal même si l’on ignore en réalité leur nombre réel ou exact. C’est aussi à ce besoin que le processus d’immatriculation vient répondre.
Immatriculer pour tenter une reprise en main
Le gouvernement du Sénégal, par le biais du ministère des infrastructures et des transports (MITTA), a donc décidé de procéder à une immatriculation gratuite des deux-roues du 6 janvier au 13 mars 2025, sur l’étendue du territoire. Selon les mots du ministre Yankhoba DIEME, la campagne d’immatriculation répond à des exigences de sécurité publique et routière, d’assainissement et de modernisation du secteur. Pour faciliter la procédure, le MITTA a mis en ligne une plateforme dédiée à l’enrôlement et à l’immatriculation des véhicules au Sénégal. Par ce biais, vous pourrez prendre rendez-vous et suivre votre dossier
Cette campagne résulte du circulaire pris par le Premier ministre Ousmane SONKO en date du 13 décembre 2024 à la suite des Etats généraux des transports publics. Au titre des mesures conservatoires et d’application immédiate, la réunion interministérielle sur la prévention et la sécurité routières tenue le 08 août décidait du « renforcement de la sécurité des deux-roues et de la protection des usagers » avec les mesures ci-après :
- faire procéder à l’immatriculation obligatoire de toutes les deux-roues de cylindrée supérieure à 49 cc ;
- instaurer la gratuité de l’immatriculation des deux-roues déjà dédouanées et disposant d’une carte grise conforme, à compter de la date de signature de la présente et ce, pendant trois mois. Le coût de la plaque n’est pas concerné par ladite gratuité qui ne prend en compte que les frais de mutation aux impôts ;
- sanctionner systématiquement les comportements à risque des deux roues, notamment ceux relatifs à la circulation sur les trottoirs, au non-respect des stops, des feux tricolores et des sens giratoires, à la course poursuite et au rodéo urbain, à la circulation à contre sens et/ou en sens interdit, ainsi qu’à la traversée de terre-plein, au non-port de casques, au surnombre des passagers (interdiction de plus de deux personnes sur une moto)
Nos intervenants ont été unanimes à penser que l’activité des deux-roues à Dakar et dans les régions n’est pas en soi une mauvaise pratique dès lors qu’elle est organisée. Comme le prévoyait d’ailleurs l’arrêté de 2022, le permis de conduire, l’assurance du véhicule, le casque de protection et une signalisation adéquate restent des fondamentaux. Immatriculer est une première étape, mettre en place une réelle politique de mobilité en est une autre et dans tous les cas, une régulation efficace doit inclure des contrôles réguliers et l’application de sanctions strictes pour les contrevenants. A ce sujet d’ailleurs, la collaboration de tous les acteurs s’avère indispensable.
Des défis à surmonter.
De nombreux acteurs interviennent dans le secteur : mécaniciens, importateurs, vendeurs, administrations et autres usagers. Latyr Diouf a par exemple démarré et évolué petit à petit, décidant dès le départ d’être formel et organisé. Même si beaucoup d’acteurs souhaitaient agir comme lui, la désorganisation du marché a constitué un frein pour beaucoup, notamment au moment de l’acquisition.
Depuis le début de la phase d’immatriculation, nombre de propriétaires ont des difficultés à produire le CMC, certificat de mise à la consommation ou encore le certificat de vente du fait de la méthode d’acquisition du véhicule. Assez peu de deux-roues qui circulent aujourd’hui à Dakar ont été importés en tant que véhicules. Dans la plupart du temps, il s’agit de pièces détachées assemblées chez le mécanicien ou le magasinier du coin. Bien qu’il existe des concessionnaires qui importent et vendent des véhicules à deux-roues avec toute la documentation nécessaire et le casque de protection aux normes, il reste que le différentiel en terme de prix d’acquisition dissuade beaucoup d’usagers.
Dans l’opération d’immatriculation, la gratuité concerne la taxe payé à l’Etat alors que la plaque d’immatriculation, confectionnée par un concessionnaire, coûte environ 23 000 F CFA et reste à la charge du propriétaire des deux-roues. Quelque soit par ailleurs l’interprétation faite de la circulaire du ministre Mor NGOM, celle-ci ainsi que la directive du Premier ministre Ousmane SONKO ne varient pas sur le fait que le permis et le casque sont obligatoires et constituent des préalables.
L’autre défi est relatif à la régulation de la circulation routière. Le contrôle est principalement assuré par les agents de la police et de la gendarmerie et d’ailleurs une compagnie de la circulation routière avait été instituée en 2004 par le Président Macky SALL. Si elle a été une réponse à une situation donnée, cette entité ne semble pas avoir suivi l’évolution du secteur au regard des conditions et modalités de contrôle en vigueur sur nos routes. Le système va certainement évoluer dans les prochains mois puisque les autorités en charge de la gestion du transport ont fait un benchmarking au niveau de différents systèmes. L’idée d’une caméra embarquée est sur la table des autorités, couplée certainement à la digitalisation des amendes déjà opérationnelle constituera une bonne formule.
La digitalisation devrait s’étendre à tous les aspects de la régulation du secteur. L’on indiquait plus haut que le MITTA avait mis en place une plateforme dédiée pour la prise de rendez-vous pour les usagers qui veulent immatriculer leurs véhicules. Avant cela, notamment en 2020, le Président de la République Macky SALL avait lancé un processus de digitalisation mais qui n’avait réellement pas abouti et d’ailleurs, la plateforme est inutilisable depuis au moins deux ans du fait, dit-on, d’une transition mal gérée entre ADIE et SENUM.
Il reste que la digitalisation, au delà de rendre plus opérationnel le processus, contribuera à mettre hors circuit l’interminable chaine d’intermédiaires. Il n’est certainement pas besoin d’aller chercher une entreprise étrangère pour mettre en place la solution digitale. Le Sénégal regorge d’assez de compétences qui pourraient mener ce projet à bien, sous la supervision de la SENUM. Les autorités en charge de ce secteur sont donc vivement encouragées à travailler avec un ou plusieurs start-up sénégalaises afin de contribuer à faire éclore ou à renforcer l’écosystème tech.
A-t-on besoin d’un permis de conduire pour deux-roues ou d’une formation spécifique dans la conduite de ce type de véhicules ? Pour le moment, cela n’est guère envisagé parce que le permis B délivré aux conduiteurs de voiture inclut aussi le permis A1 nécessaire à la conduite d’une deux-roues. Cette manière de faire n’est pas propre au Sénégal, elle a court dans beaucoup de pays. Quant à la formation à la conduite, à part quelques usagers qui ont suivi des cours au Sénégal ou à l’étranger, beaucoup ont appris sur le tas. Cela peut expliquer dans une certaine mesure le comportement de ces acteurs sur la route : méconnaissance du code de la route, nombre impressionnant d’accidents.
L’opération d’immatriculation, au delà de constituer un test grandeur nature du système de régulation, pose également un épineux problème quant à la gestion des deux-roues volés. Le système de contrôle opérationnalisé en ce moment par la police, a permis de mettre la main sur un nombre important de véhicules. A qui appartient tel moto ? Comment vérifier la propriété d’un véhicule en l’absence de documentation pouvant le prouver ? Faudra-t-il se fier aux seules déclarations, même si elles sont faites sur l’honneur ? Quelle sera la responsabilité des autorités dans la transmission d’un bien à autrui dans les cas où une constestation a lieu ? Toutes questions qui risquent de donner du grain à moudre aux agents.
Le dernier défi que nous voudrions évoquer dans ce résumé a trait à la floraison d’associations d’usagers. Selon Moustapha qui est le point focal du MITTA sur cette question, plus de 87 demandes d’audiences sont sur sa table, et d’associations différentes. Qui est surpris ? C’est une pratique courante et qu’on peut retrouver dans divers secteurs du transport sénégalais. Ce constat, Latyr en a fait l’amère expérience, ce qui l’a poussé à se mettre en retrait des nombreuses ensembles. Le MITTA a conscience que travailler avec tous ces acteurs serait presqu’impossible et donc s’essaie à les rassembler en une fédération ou une entité globale qui puisse en faire un interlocuteur unique mais assez représentatif du secteur. Bonne chance !