[190]. Le député sénégalais est-il réellement imposé ?
Le débat sur l’imposition du député sénégalais se poursuit depuis que la question a été soulevée par un membre de l’Assemblée nationale. Nous avons essayé d’y voir plus clair afin de mieux comprendre les tenants et aboutissants sur le niveau d’imposition.
Depuis quelques jours, nos compatriotes s’intéressent à la rémunération du député sénégalais suite à la sortie de l’honorable député Ousmane Sonko. Ancien inspecteur principal des impôts et expert fiscal agréé, il a fait plusieurs sorties concernant les retenues opérées sur les rétributions des députés. La dernière en date a eu lieu sur un plateau de télévision suivie de la publication de son bulletin de paie en tant que député.
Il faut prier que cet intérêt ne soit pas un simple effet de mode. Ce sont en effet, des débats sur ces sujets (fiscalité, économie, société) qui permettent à d’autres pays d’avancer vers l’émergence et de cimenter encore plus le lien social; ce commun vouloir de vie commune entre les citoyens.
De quoi est-il question en l’espèce ?
Monsieur Ousmane Sonko estime qu’il y’a une sous imposition des revenus des députés. Ceux qui ont répliqué ont considéré qu’il ne s’agissait pas de « salaires » mais « d’indemnités parlementaires » au regard du Règlement Intérieur de l’Assemblée nationale. Par conséquent, ces paiements sont exonérés d’impôt sur le revenu.
Pour rappel, l’impôt est un « prélèvement pécuniaire requis des contribuables (personnes physiques ou morales) par voie d’autorité, à titre définitif et sans contrepartie directe, en vue de la couverture des charges publiques ». Au Sénégal, la personne physique peut disposer des revenus de capitaux mobiliers (dividendes et intérêts), des revenus provenant d’une activité industrielle ou commerciale (BIC), agricole (BA), du foncier (RF), des professions libérales (BNC) et d’activités salariées (Revenus des traitements et salaires, rentes et pensions de retraites). Les rémunérations sont de fait dans cette dernière catégorie.
De tout ce qui a été dit sur le sujet jusque-là sur la rémunération du député sénégalais, il me semble pertinent de rappeler ce qui suit.
L’exonération ne se présume pas en matière fiscale, elle est expresse
La qualification donnée aux rémunérations perçues par les députés justifie pour certains l’exonération partielle desdites rémunérations. L’article 101 du Règlement Intérieur de l’Assemblée Nationale précise que « Les députés perçoivent une indemnité égale au traitement afférent à l’indice maximum de la hiérarchie générale des cadres du personnel de la Magistrature, du personnel militaire et des corps de fonctionnaires de l’Etat. La moitié de cette indemnité est représentative de frais professionnels ».
Est-ce cette « moitié » qui a été exonérée ? Difficile à dire puisque le même article dispose qu’« une loi organique fixe le nombre des membres de l’Assemblée nationale, leurs indemnités, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités ».
Cette loi (de précision) ne semble pas avoir été votée cependant si on se base sur une récente publication de l’inspecteur principal du Trésor (à la retraite) et ancien ministre Mamadou Abdoulaye Sow. Si la loi organique avait été prise, elle aurait pu nous édifier davantage sur les différentes rubriques de la rémunération des députés et notamment sur cette partie exonérée.
Une interprétation permissive?
En tous les cas, l’analyse combinée de l’article 101 du Règlement Intérieur de l’Assemblée nationale et les dispositions de la loi 2012–31 modifiée portant Code Général des impôts (CGI), ne permet pas de dire que la partie représentative de frais professionnels est effectivement exonérée d’impôts.
L’article 167 du CGI qui traite des revenus exonérés de l’impôt prévoient une exonération pour les indemnités ci-dessous :
- les allocations familiales, allocations d’assistance à la famille, majorations de soldes, indemnités ou pensions calculées conformément à la législation en vigueur et attribuées en considération de la situation ou des charges familiales ;
- les allocations et les indemnités spéciales destinées à assurer le remboursement de frais inhérents à la fonction ou à l’emploi effectivement utilisés conformément à leur objet, sous réserve de justifications comptables;
- les indemnités et primes spéciales destinées à assurer le remboursement de frais forfaitaires, dans les limites fixées par le ministre chargé des Finances ;
- les indemnités de licenciement, les indemnités légales de départ à la retraite et les indemnités de décès déterminées conformément à la législation du Travail et
- les rentes viagères et indemnités temporaires attribuées aux victimes d’accidents du travail; … »
La rémunération du député sénégalais, si d’aventure elle serait exonérée sur la base des dispositions prévues dans le règlement intérieur de l’Assemblée nationale et le Code général des impôts, ne pourrait être logée qu’aux points 3 ou 4 qui consacrent l’exonération des indemnités ayant un caractère de remboursement. Et même dans cette hypothèse, le problème reste entier.
Le point 3 exige la production de justificatifs comptables (factures, reçus de paiement…). Ainsi donc l’exonération ne sera admise que si le concerné apporte un justificatif. Ce qui à ma connaissance n’a pas lieu.
Le point 4 concerne les indemnités forfaitaires fixées par les conventions collectives et arrêtés ministériels ayant un caractère de remboursement de frais au profit du salarié. On peut mettre dans ce registre : prime de transport, indemnité kilométrique, prime de panier, prime de salissure, etc. Les montants en question ne sont pas non plus de cette catégorie.
L’indemnité parlementaire n’est pas non plus couverte par une exonération émanant d’un arrêté du ministre des finances. Cette autorité ne serait d’ailleurs pas compétente pour le faire puisque le Règlement Intérieur de l’Assemblée nationale renvoie à une loi organique.
En tout état de cause, cette exonération existe de fait puisque les bulletins mensuels des députés en font état. Gageons par conséquent que ladite exonération soit prévue par un texte dont nous n’avons pas connaissance. Ou qu’elle procède d’une interprétation large et bienveillante des dispositions combinées des articles 101 du Règlement Intérieur de l’Assemblée nationale et 167 du Code général des impôts.
Si une partie de la rétribution des députés est exonérée, l’autre partie est par contre sous-imposée.
Tous les sénégalais disposant de revenus salariaux ou au fait de la chose fiscale, ont vu que les retenues opérées sur les rémunérations des députés sont inférieures à ce que prévoit la loi. Nous fondons ce jugement sur le Barème de retenue à la source.
L’honorable député Mamadou Diop Decroix évoque une hypothèse de détermination d’un revenu net à percevoir et d’une reconstitution du brut imposable qui auraient été mal faites. Sur un brut imposable de 722 504 F CFA, l’honorable député Ousmane Sonko ne supporte aucune retenue au titre de l’impôt sur le revenu alors qu’il aurait dû être débité de 102 731 F CFA.
Ainsi donc, même si on se trouve dans une situation d’exonération partielle de ces indemnités, il subsiste toujours une inégalité. La rémunération du député sénégalais reste ainsi moins imposée que les nôtres. C’est un fait indéniable.
Mamadou Diop Decroix livre une autre information qui nous parait utile à retenir. Il part de l’hypothèse selon laquelle chaque député reçoit un montant net minimum de 1 300 000 F CFA chaque mois. Ainsi, que la retenue soit opérée ou non, cela n’impactera pas l’indemnité du parlementaire. Il lui restera toujours à percevoir ce montant. Par conséquent, ces charges seront en tous les cas supportées par le contribuable.
Une solution qui n’en est pas une !
Si effectivement les montants nets perçus par les députés sont déterminés d’avance, des corrections éventuelles n’auraient aucun impact sur ces rémunérations. Par contre, il est à attendre que celles-ci soient répercutées sur le budget de l’assemblée nationale, en hausse notamment.
Prenons toujours l’exemple du député Ousmane Sonko pour qui la rémunération brute hors avantages en nature (téléphone, carburant, véhicule, etc.) est de l’ordre de 1 371 640 F CFA (brut imposable + indemnité exonérée).
S’il doit toujours percevoir 1 300 000 F CFA, il nous reviendrait à 1 680 000 F CFA à peu près soit un écart de 308 360 F CFA correspondant plus ou moins à la retenue d’impôt opérée (305 388 F CFA) sur son revenu.
Sur un effectif de 165 députés, cet écart qui est le plus petit qui puisse exister en raison du nombre de part (5 parts), nous reviendrait à 50 879 400 F CFA de plus par mois. Ce surplus se rapporterait à 610 552 800 F CFA par an et 3 052 764 000 F CFA pour une législature. Enorme.
Cela l’est d’autant que cette simulation ne tient pas compte des avantages en nature alloués au député en nature et considérés comme des éléments de rémunération devant être compris dans l’assiette de la retenue à la source.
En conclusion, il est normal et légitime de demander aux élus de supporter des impôts au même titre que tout travailleur du public et du privé. D’ailleurs, les principes d’égalité devant l’impôt et d’imposition suivant la capacité contributive du contribuable militent en faveur d’un traitement non discriminatoire. Ces principes souffrent d’une application effective.
C’est pourquoi, je pense qu’un régime d’imposition spécifique, découlant d’une loi, doit être prévu pour les élus. En attendant que celle-ci advienne ou soit communiquée au cas où elle existerait, nous sommes fondés à parler d’injustice.