[266]. Les africains évaluent le mandat de Macky Sall à l’UA
Le mandat du Président Macky Sall à l’UA vient de prendre fin, après une année d’activités diplomatiques à travers le monde. L’occasion a été saisie par le Divan Citoyen pour échanger avec les internautes sur les avancées et défis liés à ce mandat. Les animatrices du Space Actu Afrique, rendez-vous dominicale autour de l’actualité africaine, ont donc été invitées pour introduire les discussions sur le bilan de Macky Sall à la présidence tournante de l’Union africaine. Vous pouvez encore réécouter les débats sur notre fil Twitter
Pour l’histoire de cette présidence de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, retenons que la proposition est venue du premier Président de la République du Sénégal Léopold Sédar Senghor. En 1964, il avait proposé d’instituer une « autorité politique et morale permanente de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement pour donner une impulsion de haut niveau à la conduite des affaires continentales ». Le principe avait été retenu et à côté du Président de la Commission de l’Union africaine, il y’a un Président de la Conférence de l’UA. C’est ainsi que Macky Sall (Sénégal, Afrique de l’Ouest) a donné le flambeau à Azali Assoumani des Comores pour le compte de la région Afrique de l’Est.
Douze mois suffisent-ils?
Est-il possible en seulement douze mois, d’obtenir des résultats probants sur des questions internationales aussi difficiles et complexes? Ni oui, ni non ! Disons que tout dépendra de la perspective du Président en exercice, du poids diplomatique de son pays, de ses relations avec la Commission de l’Union africaine, etc. Relevons également le fait que l’Union africaine s’est doté d’un plan stratégique dénommé Agenda 2065, et qui servir de boussole à toutes les instances de l’Union. La présidence sénégalaise s’est-elle arrimée à cet agenda?
A la veille de la tenue du sommet à Addis Abeba, le quotidien national Le Soleil du 17 février 2023 a publié un dossier sur les réalisations du Président Macky Sall à la tête de l’UA. Diverses personnalités y ont exprimé leurs points de vue, notamment Me Aïssata Tall Sall, ministre des Affaires étrangères du Sénégal. Selon elle, le président Macky Sall a bien porté le plaidoyer sur des questions majeures qui secouent le continent africain :
Le Président Macky Sall a par devoir su dire et défendre la position, et porter les intérêts prioritaires du Continent » sur des questions majeures portant sur les enjeux mondiaux.sur les questions géopolitiques majeures portant sur les enjeux mondiaux, les dégâts collatéraux néfastes des chocs exogènes (insécurité agro-alimentaire et crise énergétique) liés à la crise russo-ukrainienne sur le continent, la bonne gouvernance, l’Etat de droit, la sécurité alimentaire et la résilience des systèmes alimentaires, la sécurité au Sahel, le dérèglement climatique, la transition et le mix énergétiques.
Me Aïssata Tall Sall, Ministre des affaires Etrangères, Sénégal,
Le Soleil a également donné la parole à Ibrahima Kane, spécialiste des questions africaines à Open Society Initiatives for West Africa. Celui-ci considère pour sa part que le Président Macky Sall a exercé son mandat sans la Troika, ce qui a été un peu handicapant pour l’exercice de sa mission. La Troika au sein de l’Union africaine est composée de trois membres : le président sortant, le président en exercice et du potentiel successeur. Pour la présidence sénégalaise, la troika devait réunir le prédécesseur de Macky Sall en l’occurence Felix Tshisekedi et le successeur devait débuter son mandat en 2023.
Il s’est trouvé que le président congolais était plus préoccupée par la crise entre son pays et le Rwanda, tandis que l’Afrique de l’Est qui devait hériter de la présidence de l’UA peinait à s’accorder sur le choix entre le Kenya et les Comorres. Le Sénégal a donc presque fait cavalier seul pour sa présidence, avec le soutien de la Commission de l’UA dirigée par le chadien Moussa Mahamat Faki. Pour les besoins de cet exercice, quatre grandes thématiques ont été retenues, tirées des discours d’entrée en fonction et de fin de mandat du président sénégalais.
Le recouvrement intégral du patrimoine culturel
Cette revendication qui continue de faire couler beaucoup d’encres et de salives oppose principalement les Etats africains aux Etats européens qui continuent de garder diverses oeuvres prises pendant la colonisation. Le recouvrement de l’intégralité du patrimoine culturel a donc été une priorité du mandat de Macky Sall. Pour lui, il s’agira de « déconstruire les préjugés et les déterminismes qui entravent la bonne marche de notre continent vers le progrès« .
Nous disons oui au rendez-vous du donner et du recevoir, nous disons non à l’injonction civilisationnelle.
Macky Sall, Président de la République du Sénégal
L’on s’est pourtant interrogé sur le contenu de ce programme, surtout qu’en face, le Président français Emmanuel Macron prenait des initiatives dans ce sens, vis-à-vis du continent ou avec certains pays comme le Cameroun ou encore l’Algérie. Au Cameroun, il proposait la mise en place d’une commission constituée d’historiens des deux pays afin de rédiger un rapport sur leur passé commun tandis que la polémique a enflé avec les dirigeants algériens. Pour cause, il s’est interrogé sur l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation, après qu’à Alger, on ait déclaré la colonisation crime contre l’humanité et surtout une vraie barbarie.
Le mandat d’une année n’a pas permettre de vider cette question, ni de faire adhérer les africains à une vision commune et une demande uniforme pour le retour de ce patrimoine.
La mise en place d’une agence panafricaine de notation
En février 2022, Macky Sall, président en exercice de l’Union africaine, relevait la dégradation de la notation d’au moins « 18 des 32 pays africains évalués par au moins une des grandes agences de notation ont vu leur notation dégradée« , pendant la Covid19. Le système de notation des agences est important puisqu’il allège ou affaiblit les conditions d’octroi de la dette.
Plus le risque est élevé, plus les créanciers imposeront des garanties supplémentaires ou ferons peser le risque sur les débiteurs, ce qui engageront les Etats à devoir payer plus. Cette processus de notation, selon le Président Macky Sall, est biaisée du fait de l’utilisation « des facteurs plutôt subjectifs, par exemple d’ordre culturel ou linguistique, donc sans relation avec des fondementaux qui déterminent la stabilité d’une économie« .
Cette posture est confirmée par le rapport 2022 sur le financement du développement durable, réalisé « par une soixantaine d’institutions multilatérales dont le Fonds Monétaire International, la Banque mondiale, le Comité de Bâle sur la supervision bancaire, l’Association internationale des régulateurs de l’assurance ou encore le Conseil de stabilité financière« . Ce document met en sus l’accent sur la « défiance des agences de notation vis-à-vis de l’initiative de suspension du service de la dette, pourtant décidée de façon consensuelle par le G20«
Fort de tous ces constats, il a préconisé, avec le soutien de la Commission de l’Union africaine, la mise en place d’un task force pour étudier la possibilité d’une création d’une agence panafricaine de notation. En février 2022 pourtant, sous le mandat du Président Macky Sall, l’agence de notation Moody’s a racheté la Global Credit Rating, la plus grande agence de notation financière africaine. GCR faisait de la notation sur la base de monnaies locales et commençait à prendre de l’ampleur quand le rachat a eu lieu.
A ce jour et selon plusieurs intervenants, ni l’Union africaine ni le Président Macky Sall pendant son exercice, ne s’est prononcé sur le sujet. Au plus, il aurait fallu que l’Union africaine en fasse une réelle priorités ou que les Etats membres soutiennent l’entrée de leurs secteurs privés dans le capital de ces agences de notation pour les renforcer et éviter que les majors en prennent le contrôle.
Membre permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies
Le constat a été fait par le Président Macky Sall lors de son discours de sortie de présidence de l’Union africaine.
Sur la gouvernance mondiale, il est clair que la réforme du Conseil de Sécurité ne connait pas encore d’évolution significative.
Macky Sall, Président sortant de l’UA, 19 février 2023
Une année auparavant, il indiquait devoir poursuivre le « plaidoyer pour un multilatéralisme plus ouvert, plus transparent et plus inclusif; à commencer par une représentation plus équitable de l’Afrique au Conseil de sécurité des Nations Unies, conformément au consensus d’Ezulwini« . Ce « consensus » est la position commune africaine sur la réforme des Nations Unies. Elle vise la pleine représentation de l’Afrique dans les modalités suivantes :
- Au moins deux (2) sièges permanents avec tous les privilèges et prérogatives des membres permanents y compris le droit de veto;
- Cinq (5) sièges non permanents.
La position commune retient que l’Union africaine sera responsable de la sélection des représentants de l’Afrique au Conseil de Sécurité. De même, les critères de sélection des membres africains du Conseil de Sécurité sont des questions internes qui sont du ressort de l’Union africaine et qui prendront en compte la nature et la capacité de représentation des pays choisis.
Les internautes ont été guère optimistes quant à l’issue heureuse de cette revendication, du fait de la division qui parcoure tout le continent. L’Afrique a du mal à s’entendre et à parler d’une seule voix et le premier élément de cette divergence est le fait qu’il y’ait des Afriques, divisées en entités francophones, anglophones ou lusophones. Cela impacte fortement sur le poids que peut représenter le continent sur l’échiquier mondial.
En sus de la langue, la fragmentation du continent en cinquante cinq (55) Etats indépendants n’est pas pour arranger les choses. L’Afrique en tant qu’entité unique n’existe pas encore dans une réalité concrète. Le micro nationalisme empêche aujourd’hui nombre d’Etats à s’unir sur des politiques communes sur l’agriculture, l’économie, la sécurité, la diplomatie, etc. Bien que le sol et le sous-sol du continent regorge de fortes richesses, celles-ci sont divisées en autant d’entités.
L’Afrique gagnera t-il un siège au G20 ?
Le Président de la République Macky Sall l’a réaffirmé lors de son discours de sortie : dix (10) Etats sur les vingt (20) soutiennent la candidature de l’Afrique au sein du G20. Il s’agit notamment de la France, de la Grande-Bretagne, des USA, de la Chine, de la Russie, de l’Arabie Saoudite, du Japon, de la Turquie, de l’Afrique du Sud et l’Union européenne.
La Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement a donné mandat au Sénégal de suivre l’évolution du dossier d’adhésion de l’Afrique au G20 et le Président sortant espère que la confirmation se fera très bientôt.
Les sujets « volontairement » ignorés par Macky Sall à l’UA
L’Etat de droit, la démocratie et les droits humains ont été des sujets absents du mandat du Président Macky Sall. La question de la démocratie semble l’incommoder surtout que dans son pays, cette question reste encore à être tranchée. Il en est de même des droits humains, aussi bien au niveau de son pays qu’au Congo, au nord du Mali, au Tchad, etc. ce qui mitige fortement son bilan à la présidence de l’Union africaine. Rien ne semble avoir été fait pour promouvoir la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance qui pose les règles de base sur le continent.
La migration et la Diaspora n’ont également pas figuré parmi les priorités du mandat du Président Macky Sall à la tête de l’UA. La moitié de la population est jeune et ces derniers partent en grande masse vers l’Occident. Aussi bien les ressources humaines de qualifié que la force de travail partent, arrivent à leurs lieux de destination ou perdent la vie en mer ou dans le désert. Cela a paru surprenant, surtout du fait des nombreuses pertes en vies humaines ou même des accords bilatéraux signés avec les pays européens, en contradiction des politiques ou règles régionales ou continentales.
La question des GAFAM n’a également pas beaucoup refait surface. Dans diverses discussions, la régulation des réseaux sociaux est renvoyée à l’Union africaine mais l’instance semble ne pas trop se presser à évoquer le sujet. Il en est de même des difficultés liées aux déplacements au niveau du continent, notamment par voie aérienne.
La stratégie du silence que l’entité continentale et les Etats africains ont trouvé a été de passer sous silence cette question difficile pour ne pas y apporter les réponses pertinentes. La participation de la Diaspora a également été peu mise en exergue durant cette présidence.