[290]. Cinq propositions citoyennes pour la démocratie sénégalaise
La démocratie sénégalaise a été rudement mise à l’épreuve ces dernières années. Ce pays entouré par « une ceinture de feu » a failli basculer à plusieurs reprises du fait de comportements d’individus ou de groupes politiques. Aujourd’hui que le Conseil constitutionnel semble avoir remis les choses à l’endroit, nous pouvons souffler et réfléchir à ce qui nous arrive.
C’est un peu l’objet de ce rendez-vous initié par Africtivistes autour de la démocratie sénégalaise. Ils m’ont fait l’honneur de m’inviter à prendre part au panel sur les « mécanismes politiques, juridiques et institutionnels de renforcement de l’Etat de droit pour la démocratie ». Nous devions notamment discuter des solutions politiques et institutionnelles tendant à sauver la démocratie au Sénégal.
Africtivistes a réalisé un film documentaire intitulé « Un pouvoir, deux mandats » faisant intervenir historiens, activistes, universitaires, journalistes. Un film à voir donc.
Dès l’entame, il me parait important de partir de considérations générales qui permettent de circoncir le champ d’action de mes propositions.
Considérations générales autour des notions de « peuple » et de « citoyen »
Les personnes qui ont été interviewées dans le film « Un pouvoir, Deux mandats » ont donné plusieurs définitions de la démocratie. Celle qui me semble le plus populaire et parfaitement adapté à ma perspective est celle qui dit que la démocratie est le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ! ».
Lorsqu’on évoque la triptyque « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple », il apparait que les sénégalais sont servis par les hommes politiques de la toute dernière partie, « pour le peuple« . Qu’ils appartiennent à la majorité, à l’opposition ou à la société civile, tous déclarent agir pour le peuple sénégalais. Ce peuple dont ils disent qu’il est mature, suffisamment informé, conscient des enjeux et surtout sachant distinguer le bon de l’ivraie.
Cette « rengaine » nous est servie par les hommes politiques sénégalais de tous bords, notamment dans les cas où faute d’arguments, ils renvoient le vis-à-vis à l’arbitrage de l’auditoire ou des téléspectateurs. Sommes-nous ce peuple mature, suffisamment informé, conscient des enjeux et sachant distinguer ?
Au plus fort de la crise institutionnelle qui continue de secouer le Sénégal, avec l’annulation, par le Président de la République Macky Sall, de l’élection présidentielle du 25 février 2024, un journaliste d’une chaine privée exprimait le sentiment de beaucoup d’ouest-africains. Il disait notamment qu’un troisième mandat n’était pas possible au Sénégal parce que les sénégalais étaient un peuple, entendu comme un groupe d’individus ayant une conscience politique marquée.
Cela a le mérite de flatter nos egos et c’est peut-être là où réside le souci. Seulement et en réalité, il ne débouche pas sur grand-chose. C’est pourquoi d’ailleurs, je préfère le concept de « citoyen » à celui de « peuple ».
- Le PEUPLE ici renverra à un groupe d’individus doté d’une réelle conscience politique. Le peuple sénégalais en est suffisamment pourvu si l’on se fie aux discours de nos hommes politiques.
- Les CITOYENS quant à eux bénéficient de la conscience du peuple en plus de détenir des outils qui leur permettront d’exercer et faire respecter des droits qui leur sont reconnus.
Je voudrais ainsi et à cet égard, repositionner le débat autour de la relation GOUVERNANTS – CITOYENS. Dès lors, les attentes me paraissent clairement exprimées.
Des gouvernants, il est attendu qu’ils :
- CONSULTENT les citoyens dans les processus de prise de décision ;
- RENDENT COMPTE de l’usage des moyens et prérogatives mis à leur disposition ;
Des citoyens, il est attendu qu’ils puissent :
- S’EXPRIMER sur la manière dont ils sont gouvernés, par les voies et moyens à sa disposition ;
- PARTICIPER à la vie politique nationale, en utilisant les espaces physiques et les outils numériques.
Nos cinq mesures phares pour la démocratie sénégalaise
L’une des mesures est l’accès à l’information qui garantit aux citoyens un accès facile aux informations gouvernementales, aux politiques publiques et aux activités de leurs représentants élus. Au Sénégal, diverses initiatives ont été lancées pour doter le pays d’une loi d’accès à l’information. Ces demandes se sont toujours heurtées à un non, quelque fois catégorique, quelque fois diffus, du gouvernement.
2. La deuxième mesure concerne la mise en place d’espaces ou de plateformes de consultations citoyennes qui permettent, notamment, la soumission de plaintes individuelles ou collectives. Ces plateformes pourront inclure des programmes éducatifs visant à sensibiliser les citoyens sur le fonctionnement des institutions, sur les principes démocratiques et sur les mécanismes de participation.
3. Troisième mesure préconisée : permettre aux citoyens de saisir la juridiction constitutionnelle lorsque l’exercice ou l’intégrité d’un droit fondamental est en jeu. A ce jour, seuls les membres des pouvoirs exécutif et législatif sont en mesure de saisir le Conseil constitutionnel pour lui demander de se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi. Aménager un recours citoyen permettra de palier à l’inaction de l’un ou de l’autre de ces pouvoirs, si l’on sait que les intérêts politiques déterminent largement leurs postures. Vous vient sûrement à l’esprit de multiples occasions où les citoyens auraient pu demander l’arbitrage du Conseil.
4. Il faut également, quatrième mesure, réformer la loi sur les manifestations, en imposant à l’autorité administrative un délai de réponse lorsque des déclarations de manifestations lui sont notifiées. Pour que votre lettre d’information soit recevable, elle doit être déposée 15 jours au plus tôt ou trois jours francs au plus tard, avant la date prévue. L’autorité administrative, par contre, n’a aucune contrainte et de façon régulière, des arrêtés d’interdiction sont notifiés aux déclarants à quelques heures de leurs évènements, rendant inopérant tout recours que la loi met à la disposition du citoyen.
5. Il faudrait enfin, et c’est la cinquième mesure, ramener le droit de pétition à un rang constitutionnel. Le droit de pétition existe au Sénégal depuis 2012 mais reste rattachée à la loi instituant le Conseil Economique Social et Environnemental (CESE). Vu que la plupart des candidats à la présidentielle de 2024 entreprennent de supprimer cette institution, il serait dommage que les citoyens perdent cet opportunité d’interpeller les gouvernants.
A côté de ces mesures, nous devons continuer à militer pour un Internet ouvert et libre. Internet est un outil d’expression qui pourra beaucoup servir à la cause citoyenne. Nous avons certes du chemin à faire d’ici à ce que l’Internet au Sénégal et les réseaux sociaux deviennent des plateformes où nous pourrions tous nous retrouver, échanger et trouver ensemble les meilleures solutions pour notre pays. Il cependant évident qu’un gouvernement qui accorde de la valeur à ses citoyens ne leur coupe pas l’internet.
Pour conclure sur ce qui précède, je voudrais intégrer une toute dernière nécessité et qui me semble être la principale : donner une réalité aux cinq mesures énoncées plus haut. Leur donner une réalité va nécessairement renforcer les capacités des citoyens à prendre des décisions éclairées, à se mobiliser en tant qu’opinion publique consciente et prête à assumer une citoyenneté.
Nous pourrons dès lors revendiquer une stature de société démocratique.