[268]. Suivi des recommandations de la Cour des comptes sur la gestion des fonds Force Covid19
En décembre 2022, la Cour des comptes du Sénégal rendait public le rapport définitif portant contrôle de la gestion du fonds de riposte et de solidarité contre les effets de la Covid19 (fonds Force Covid19), au titre de la gestion 2020 et 2021. Le rapport de 177 pages a crée l’émoi auprès de l’opinion publique nationale et internationale du fait de plusieurs considérations. Il n’est pas superflu de rappeler que les sénégalais ont vécu au moins deux années de souffrance induites par la gestion de la Covid19 par les autorités administratives et sanitaires. Ces impacts sur les aspects humains, économiques et sociaux ont amplifié le choc induit par la publication des résultats de ce contrôle.
Les sénégalais et le monde découvrait de façon stupéfaite la gestion des 1000 milliards que divers acteurs avaient mis à la disposition des autorités malgré les restrictions et contraintes liées à la pandémie. Rarement un rapport de la Cour des comptes aura occupé l’actualité nationale et de diverses manières. Des protestations avaient fusé et des engagements ont été pris. Trois mois après la publication du rapport, nous avons fait le point sur la mise en oeuvre des recommandations formulées par la Cour des comptes.
Avec Elimane KANE, responsable de Legs Africa, nous avons essayé de passer en revue les déclarations et actes depuis que le document a été rendu public. Vous pouvez encore écouter le replay des discussions sur notre compte Twitter. Revenons cependant pour un court instant sur une question fondamentale : comment cela a pu être possible dans un Etat aussi organisé que le Sénégal?
Pouvait-il en être autrement ?
Comment cela a-t-il pu se faire ? Pourtant, et dès l’entame de la crise et devant la nécessité d’agir, le Président de la République avait consulté la classe politique (pouvoir comme opposition), la société civile, les partenaires sociaux, techniques et financiers sans oublier les bénéfices de la loi d’habilitation votée par l’Assemblée nationale. Il avait donc tous les clés en main. C’était peut-être cela la source du problème.
En parcourant les premières pages du rapport de la Cour des comptes, l’on comprend assez rapidement les dysfonctionnements qui ont rendu inopérants le dispositif qui devait nous prémunir de cette catastrophe. La Cour relève d’abord que le Conseil stratégique, organe interministériel, devant définir les orientations de la Force Covid19 ne s’est jamais réuni. Elle note ensuite que le Comité technique chargé de la mise en oeuvre des orientations du Conseil stratégique, n’a pas fonctionné. Mieux encore, le Comité interne qui devait, au niveau du ministère des finances et du budget, se charger de la vérification et de la validation/certification des pièces justificatives n’a pas été institué
Toutes les dépenses du Fonds Force Covid19 ont été ordonnancées par le Ministre des Finances et du Budget sur la base des décisions du Conseil des ministres et non du Conseil stratégique.
Rapport définitif Cour des comptes, Aout 2022, p. 15
Le seul élément du dispositif qui semble avoir été respecté est la soumission des opérations à l’examen de la Cour des comptes et à la publication du rapport.
Quannd le Gouvernement minimise sans assumer
Les sénégalais et les hôtes étrangers vivants parmi eux ont manqué de mots pour qualifier à juste titre la pièce de théâtre qui s’était jouée sous leurs yeux.
Je suis un peu sans voix
Christophe Yvenot, Représentant résident de l’Onudi, 25 décembre 2022
C’est par ces mots que Christophe Yvenot, Représentant résident de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI), réagissait lors de son passage à l’émission Jury du Dimanche sur iradio. Après l’appel à contribution lancée par le Sénégal au sujet du financement du fonds Force Covid19, le système des Nations Unies avait contribué pour 200 millions de dollars.
Le Ministre des Affaires étrangères, Me Aissata Tall Sall rencontre les ambassadeurs de l’Union européenne au Sénégal pour dit-elle, « assumer ce qu’il faut assumer et réfuter ce qu’il faut réfuter« . Dans cet opération, il sera rejoint par son collègue des Finances et du Budget Mamadou Moustapha Ba. Ce dernier indique, le 23 décembre 2022, que les manquements pour lesquels une suite judiciaire était recommandée ne portaient que sur 0,7% des 1000 milliards de F CFA mobilisés.
Cette sortie des plus mal inspirée puisque cette précision sera appréciée par l’opinion publique et divers acteurs comme une tentative de minimiser les détournements présumés. Cet autre front aura certainement poussé le Premier ministre Amadou Ba à tenter une clarification. Le 10 janvier 2023, au cours d’une rencontre avec le Groupe élargi de concertation et de coordination des partenaires au développement au Sénégal (G50), il fait noter que « la dilapidation des ressources publiques constitue toujours un acte extrêmement grave et de surcroit en temps de crise sanitaire« , quelque soit les montants sur lesquels portent ces manquements.
De telles pratiques si elles sont avérées heurtent l’éthique et n’honore pas notre Administration
Amadou Ba, Premier ministre, 11 janvier 2023
Le Gouvernement, pour certainement tenter une maitrise des débats, rend public ses éléments de réponse relatifs au rapport de la Cour des comptes. Le document relève ainsi que les « analyses sont assorties de 85 recommandations forts pertinentes, qui seront capitalisées et internaliser au titre des bonnes pratiques en matière de gouvernance des ressources publiques, dans des situations d’urgence et de crise« .
Le document précise également que les 18 recommandations concernent le dispositif de pilotage et de contrôle qui vont toutes dans le sens d’éviter les régimes dérogatoires en matière de marchés publics, de mise en place, dans le cadre de la gestion des crises, de cadres d’orientation, de suivi et de contrôle plus opérationnelles. Les 55 recommandations concernent, quant à elles, la mobilisation des ressources et les modalités d’exécution des dépenses.
La société civile refuse de laisser digérer tranquillement les milliards
A la suite de la publication du rapport de la Cour des comptes sur la gestion des fonds mis à la disposition du Gouvernement pour opérer la résilience face à la Covid19, l’initiative « Sunu’y milliards du rees » voit le jour. Une marche est organisée le 30 décembre 2022 à Dakar, pour « réclamer l’application des recommandations de la Cour des comptes et l’ouverture d’une information judiciaire contre toutes les personnalités incriminées« .
Le 3 janvier 2023, ils sont reçus par le Premier ministre Amadou BA pour une séance d’explications. Il releve à cette occasion que les points les plus importants du rapport concernent la justification des pièces de dépenses liées aux caisses d’avance dans les délais prescrits par la réglementation, la nécessité de faire jouer la concurrence dans les procédures de marché afin de réduire notamment les risques de surfacturation, l’exigence d’enregistrement de contrat des marchés avant leur exécution, la proscription de maniement de ressources publiques par des personnes non habilitées.
De façon plus globale, le rapport de la Cour des comptes a mis en relief, selon le Premier ministre, beaucoup de points positifs comme il a relevé des dysfonctionnements et des insuffisances dans des cas bien précis en pointant, notamment, le non-respect de certaines règles afférentes aux procédures de la dépense publique.
En février 2023, n’étant sans doute pas satisfait par l’évolution des choses, « Sunu’y milliards du rees » initie une campagne de dépôts de plaintes individuelles au niveau de la justice. Une centaine de plaintes furent déposées sur la table du Procureur de la République de Dakar pour, disent-ils, éviter l’impunité.
Deux catégories de plaintes ont été déposées sur la table du procureur au nom du Peuple sénégalais qui pense que le rapport de la Cour des comptes et les recommandations qui ont été faites au gouvernement ne doivent pas finir leurs courses sous le coude du Président de la République ou bien dans les tiroirs du procureur de la République. Plus de 110 plaintes ont été déposées.
Aliou Sané, coordonnateur mouvement Y’en a marre, 6 février 2023
La société civile devrait-elle assurer le suivi de la mise en oeuvre des recommandations du rapport et tenir l’opinion informée? En se mobilisant pour la transparence, en prenant part aux séances d’explication du Gouvernement, en initiant des plaintes, ne se présente-t-elle pas comme garante aux yeux de l’opinion?
Surtout rester attentif aux préoccupations des bailleurs
Lors du dialogue sur le Divan Citoyen, notre invité Elimane KANE notait, à juste raison que l’essentiel de ces réformes avaient déjà faits l’objet de recommandations dans le rapport du Comité de suivi de la mise en oeuvre des opérations du fonds de riposte et de solidarité contre les effets de la Covid19. Le rapport a été rendu disponible pour le public mais seulement en consultation sur place et pendant trois mois. Ce dispositif n’a donc pas permis à beaucoup d’acteurs de prendre connaissance des résultats.
Il a également relevé cette propension des autorités publiques à ne rendre compte de la gouvernance financière que lorsque des partenaires sont impliquées. Lors de son passage à l’émission Jury du Dimanche le 11 janvier 2023 sur iradio, le Premier ministre Amadou Ba, indiquait, qu’en sollicitant le concours financier des partenaires au développement pour mettre en place ce fonds, le Sénégal avait souscrit volontairement à l’engagement de soumettre la gestion dudit fonds à un contrôle de la Cour des comptes et de rendre public le rapport d’audit qui en serait issu.
Tous les rapports de la juridiction financière ne résultent évidemment pas de ce processus mais l’on comprend mieux la précision du Premier ministre si on prend en compte le fait que la Cour des comptes n’a jusque là pas publié ses rapports 2018, 2019, 2020 et 2021. Birahime Seck du Forum civil a d’ailleurs exprimé ses réserves dans ce sens.
Cette propension a rendre compte aux bailleurs et non aux populations s’est à cette occasion aussi manifesté. Beaucoup d’entre-nous ont été informés des mesures prises au plan administratif notamment lorsque le Représentant résident du Fonds monétaire international en a parlé. Lors d’une conférence de presse tenue à la suite de la réunion du Conseil d’administration du FMI, le Représentant résident pour le Sénégal, Mesmin Koulet-Vicktat réaffirme la volonté de son institution à rester attentive et engagée à accompagner la mise en oeuvre des recommandations.
Dans un entretien accordé au journal Le Quotidien du 11 janvier 2023, le Représentant résident met également en exergue les mesures prises par le Gouvernement pour éviter la répétition des irrégularités. Parmi ces mesures, il a relevé :
- l’adoption d’un nouveau Code des marchés publics afin de mieux encadrer les procédures dérogatoires en matière de passation des marchés publics,
- la limitation des transferts budgétaires vers les entités de l’administration centrale et la centralisation des dépenses dans la chaine d’exécution du budget.
- le choix d’opérer des transferts monétaires en faveur des ménages vulnérables pour éviter le recours à la distribution de nourriture qui a donné lieu à beaucoup d’irrégularités.
Il a allé beaucoup plus loin d’ailleurs en évoquant les assurances obtenues quant à la redevabilité des personnes épinglées par le rapport et pour lequel la Cour des comptes avait demandé l’ouverture d’une information judiciaire.
Le ministre de la justice nous a informés que le dossier a été transmis au Procureur de la République. Il faut laisser ce processus suivre son cours. Personne n’est pour une justice expéditive, il faut garder à l’esprit la présomption d’innocence.
Mesmin Koulet-Vicktat, Réprésentant résident FMI au Sénégal, 10 janvier 2023
Donner effet aux recommandations aux fins de poursuites judiciaires
Saisi le 29 décembre 2022 par le Premier président de la Cour des comptes, le Ministre de la justice Ismaila Madior Fall avait tenu à repréciser les options qui s’offraient à lui et son gouvernement. Dans une interview à l’émission Point de vue sur la RTS, il réaffirmait l’approche judiciaire à privilégier.
[…] Je saisirai le Procureur pour non pas ouvrir des informations judiciaires, mais pour utiliser d’autres modes alternatifs comme l’enquête préliminaire confiée à la police judiciaire, demander aux incriminés de produire les pièces justificatives qui leur manquaient ou de justifier les surfacturations […]
Ismaila Madior Fall Ministre de la Justice, émission le Point de vue, RTS
Cette saisine du Procureur de la République, au sujet des 12 personnes épinglées par le rapport de la Cour des comptes, a été actée le 11 janvier 2023. Un communiqué de presse sera également publié le 6 février 2023, pour informer de l’ouverture d’enquêtes préliminaires confiées à la Division des investigations criminelles (DIC).
J’ai demandé aux unités de police judiciaire de la Division des Investigations Criminelles […] d’ouvrir […], des enquêtes préliminaires aux fins de constater la matérialité des faits dénoncés, d’en rassembler les preuves, d’élucider les circonstances qui ont entouré les actes sus évoqués et d’identifier, s’il y’ a lieu l’ensemble des auteurs et des personnes qui ont facilité ou aidé à la commission des faits ou profité d’une manière ou d’une autre des produits du crime.
Communiqué Procureur de la République, tribunal de Dakar, 6 février 2023
Au niveau de la Cour des comptes, la procédure relative à la discipline financière est également enclenchée. C’est ainsi que la presse a rapporté le 10 février 2023, la convocation par la Chambre de discipline financière, de toutes les personnes épinglées pour fautes de gestion. Cette procédure faisait suite à la saisine par le Procureur général près de ladite Cour.
Quel type de sanction faudrait-il privilégier? Devra-t-on privilégier la voie de la prison ou favoriser la médiation pénale afin que les personnes remboursent les montants dus? Faut-il ignorer les stratégies liées à la délinquance des responsables de détournement qui évaluent les risques de sanction? Faut-il donner une chance de rédemption ou agir sévèrement en donnant l’exemple?
La perspective d’une justice comme lévier important dans un Etat de droit doit également être intégrée dans l’analyse. Il ne s’agit pas d’opérer une chasse aux sorcières surtout que les poursuites ne concernent en règle générale que les exécutants et non les donneurs d’ordre. Des députés avaient tenté d’introduire les ministres concernés dans la procédure, sans succès.
Tentatives avortées de faire comparaitre les membres du Gouvernement
Au niveau de la 14e législature, un groupe de députés a tenté de mettre en accusation les ministres qui géraient des portefeuilles pendant cette période. A cet effet, vingt neuf (29) députés affiliés au groupe parlementaire de l’opposition Yewwi Askan Wi avaient saisi le Président de l’Assemblée nationale en application de l’article 110 de la Constitution et sur la base des faits relevés dans le rapport Covid19 de la Cour des comptes.
Les députés ont ainsi soumis une proposition de résolution visant la mise en accusation de dix (10) ministres devant la Haute cour de justice. Etaient concernés par la saisine Mansour Faye, Abdoulaye Diouf Sarr, Abdoulaye Daouda Diallo, Moustapha Diop, Abdoulaye Diop, Aissatou Sophie Gladima, Zahra Iyane Thiam, Ndeye Saly Diop Dieng, Aminata Assome Diatta et Néné Fatoumata Tall.
Cette procédure n’a pas encore abouti, surtout que la Haute cour de justice n’est pas encore instituée.
Mise à jour 19 juillet 2023
La presse rapport qu’après cinq mois d’investigation, la DIC a transmis au Procureur de la République les résultats de ses enquêtes. Parmi les ministères concernés, il y’a celui en charge de la Femme, de la Famille et du Genre; le ministère de l’Industrie et de la Petite et moyenne industrie; les ministères chargés de la Géologie, de la Jeunesse, des Sports, de la Culture et de la Communicaation ainsi que le ministère du Développement communautaire. Les résultats de l’enquête concernant le ministère de la santé n’ont pas encore été communiqués au Procureur de la République.