6 décembre 2024

[216]. Déclaration de patrimoine :deux décennies de voeux pieux

 [216]. Déclaration de patrimoine :deux décennies de voeux pieux

Tout a commencé en 2001. La déclaration de patrimoine a occupé ces derniers jours le débat, comme à chaque fois qu’un homme politique de premier plan se prête, ou omet de se prêter, à l’exercice. C’est une procédure qui « contribue à la moralisation de la vie publique » et constitue un « moyen important de prévention de la corruption et de dissuasion pour prévenir et combattre les risques d’enrichissement illicite » peut-on lire sur le site web de l’Office National de Lutte Contre la Fraude et la Corruption, OFNAC.

La déclaration (initiale) de patrimoine permet aux organes chargés de la vérification, d’avoir une situation de référence pour évoluer l’évolution du patrimoine de l’assujetti durant l’exercice de son mandat ou de sa fonction. Comme l’indique également l’OFNAC, « elle est un moyen de protection des agents publics, responsables politiques et administratifs, nommés ou élus qui peuvent être mis en cause injustement ». C’est donc un système qui peut contribuer à une meilleure gestion des ressources publiques avec la participation active et sincère de tous les intervenants.

Pour l’histoire, la déclaration de patrimoine est de l’ancien Président de la République Abdoulaye WADE qui a fait inscrire dans la Constitution de 2001, un article qui décrit le processus. L’initiative est à ranger dans le contexte de l’époque, marqué par la première alternance démocratique au Sénégal. La Constitution de 2001 élevait à un rang constitutionnel les principes de « transparence dans la conduite et la gestion des affaires publiques ainsi qu’au principe de bonne gouvernance ».   

Tout au long de cet article, nous tenterons d’expliquer le processus tel qu’il est décrit par la loi et mis en pratique par les acteurs.  

A l’origine, une volonté de transparence du Président WADE…

La déclaration de patrimoine est introduite par l’article 37 de la Constitution qui dispose que « Le Président de la République nouvellement élu fait une déclaration écrite de patrimoine déposée au Conseil constitutionnel qui la rend publique ».

La première déclaration de patrimoine est donc venue de Abdoulaye WADE qui déclarait se soumettre à l’exercice bien que son élection en mars 2000 soit intervenue avant l’adoption de la Constitution en avril 2001.

Bien que n’étant pas régi par l’article 37 de la Constitution du 07 janvier 2001, qui s’applique au Président nouvellement élu, j’avais décidé de faire une déclaration de patrimoine

Le Soleil, 23 novembre 2001

L’article 37 semble être la seule disposition qui traite de la déclaration de patrimoine dans la Constitution. En réalité, c’est un alinéa, un paragraphe d’une phrase qui organise le processus sans réellement l’organiser. En pratique, beaucoup de questions restent en suspens.

Une procédure de déclaration de patrimoine insuffisamment organisée…

Même si la Constitution prévoit que la déclaration est faite sous la forme écrite, elle ne renseigne pas sur le format ni sur le délai de soumission. Le texte fait référence à un statut, celui de Président! de la République « nouvellement élu ».

Est-ce la période comprise entre la « proclamation définitive des résultats » énoncée à l’article 35 et la prestation de serment prévue à l’article 37 ?

Notre pratique républicaine prévoit assez peu de jours sur cet intervalle. En 2000, seulement huit (8) jours se sont passés entre la déclaration officielle de l’élection de Abdoulaye WADE (25 mars) et sa prestation de serment (1er avril). En 2012, Macky Sall prête serment le 2 avril après que le Conseil constitutionnel l’ait déclaré élu le 30 mars. Il s’est écoulé quatre (4) jours entre ces deux évènements. Au-delà de la courte période de temps entre ces deux évènements, la pratique a montré qu’aucune déclaration de patrimoine n’y a été faite.

Est-ce la période comprise entre la « prestation de serment » et la fin du délai de grâce ?

Wikipédia définit l’état de grâce comme le « moment de la vie politique pendant lequel l’opinion publique d’un pays est majoritairement favorable aux nouveaux dirigeants qui viennent d’accéder au pouvoir à la suite d’une élection ». Elle est symboliquement définie sur cent (100) jours

Si on interroge la pratique à ce niveau aussi, il y’a assez peu d’éléments qui permettent de se faire une religion. Comme mentionné plus haut, Abdoulaye Wade avait fait sa déclaration de patrimoine une année après son élection alors que Macky Sall a déclaré la sienne le 20 avril 2012, c’est-à-dire 18 jours seulement après sa prestation de serment.

Aucun des deux, au niveau d’informations où nous en sommes, n’a cependant renouvelé l’exercice ni à la fin de son mandat, ni à sa réélection. Pourrait-on en déduire qu’une nouvelle déclaration n’est pas nécessaire ? Une autre question que l’article 37 ne règle pas expressément. Cela aurait pu l’être pourtant par une (simple) mention.

En République Démocratique du Congo par exemple, la Constitution prévoit qu’« Avant leur entrée en fonction et à l’expiration de celle-ci, le Président de la République et les membres du Gouvernement sont tenus de déposer, devant la Cour constitutionnelle, la déclaration écrite de leur patrimoine familial […].

Dans les trente jours suivant la fin des fonctions, faute de cette déclaration, en cas de déclaration frauduleuse ou de soupçon d’enrichissement sans cause, la Cour constitutionnelle ou la Cour de cassation est saisie selon le cas. » Article 99.

A croire que les tailleurs haute couture ne se valent plus ! Analysons à présent l’intervention attendue du Conseil constitutionnel.

L’article 37 prévoit que l’institution rend publique la déclaration de patrimoine une fois qu’elle est faite à son niveau. A ce niveau également, plusieurs questions restent en suspens. La Constitution donne-t-elle droit au Conseil constitutionnel de réclamer une déclaration de patrimoine lorsqu’un Président de la République omet de la déposer ? Et dans les cas où il la reçoit, a-t-il compétence à analyser les informations fournies et en tirer des conclusions ?

La haute juridiction constitutionnelle avait certainement l’opportunité de nous éclairer à ce sujet en 2007, en 2012 et en 2019.

Des échappées belles…

En juin 2013, une polémique éclate à la suite d’articles de presse sur le patrimoine réel ou supposé de Abdoulaye Wade. Un document intitulé « La vérité sur le patrimoine de Abdoulaye Wade en 2008 » attribuait à celui-ci un ensemble de biens au Sénégal et à l’étranger que l’ancien président avait vite fait de nier la paternité.

Par un communiqué de presse signé de son porte-parole d’alors Serigne Mbacké Ndiaye, l’intéressé donnait sa version des faits. Une déclaration au niveau du Conseil constitutionnel à la fin de son mandat en 2012 lui aurait certainement permis de se prémunir de cet « incident ».

Khalifa Ababacar Sall ancien maire de Dakar avait également fait sa déclaration de patrimoine le 22 mai 2009 (mise à jour en 2014). A son initiative et devant un jury d’honneur présidé par Abbé Jacques Seck, il avait fait état des biens dans son patrimoine pour, dit-il, « respecter l’engagement pris auprès des populations durant la campagne, de gouverner sous le sceau d’une gestion transparente, participative et éthique ». Etaient membres de ce jury Amadou Makhtar Mbow, Cheikh Hamidou Kane, Mamoudou Touré, Diatou Cissé et Abdou Aziz Kébé.

Cette initiative soutenue à l’époque par le Forum Civil n’avait pas emballé beaucoup de membres de la classe politique sénégalaise, du pouvoir comme de l’opposition. Cette « bonne pratique » aurait pu inspirer le gouvernement afin que les tenants des collectivités locales soient inclus dans la catégorie des assujettis à la déclaration de patrimoine instituée par la loi 2014-17 du 2 avril 2014, six années plus tard.

Après une première avancée en 2001, une loi a élargi en 2014 la fourchette des élus et agents publics devant se soumettre à cet exercice. Treize (13) longues années ont été nécessaires pour instituer cette autre procédure.

Une ouverture et des restrictions

Cette loi qui a fait naitre un deuxième régime de déclaration, concerne les autorités et agents ci-après :

  • Le Président de l’Assemblée nationale
  • Le Premier Questeur de l’Assemblée nationale.

Les questeurs à l’Assemblée nationale disposent d’une compétence générale en matière financière et budgétaire puisque les dépenses sont engagées par eux. Au-delà d’exécuter les opérations budgétaires, ils s’occupent de l’administration générale.

  • Le premier ministre
  • Les ministres

Il faut aussi voir si les secrétaires d’Etat sont soumis à cette obligation. Le gouvernement mis en place en novembre 2020 en comptait quatre (4), chacun rattaché à un ministre (et au nom à un ministère). Vous pourrez peut-être nous éclairer à ce sujet en nous laissant un commentaire.

  • Le Président du Conseil économique social et environnemental

Vous avez certainement suivi la dernière actualité avec la déclaration de patrimoine de Idrissa Seck qui a « fuité » dans les médias, poussant le Président de la République à « taper du poing sur la table » selon ce qu’en a rapporté la presse.

La source du problème, s’il y’en a un, viendrait de la combinaison de l’alinéa 2 de l’article 5 « les déclarations déposées et les observations formulées ne peuvent être communiquées, qu’à la demande expresse du déclarant ou de ses ayants-droits ou sur requête des autorités judiciaires » et de l’article 9 « le processus de la déclaration de patrimoine revêt un caractère confidentiel. Toute personne concourant à sa mise en œuvre est astreinte au secret professionnel ».

  • Tous les administrateurs de crédit, les ordonnateurs de recettes et de dépenses, les comptables publics, effectuant des opérations portant sur un total annuel supérieur ou égal à 1 milliard de F CFA.

Un administrateur de crédits est toute personne qui a dans un organisme public l’initiative des dépenses à titre principal ou délégué. Quant à l’ordonnateur de recettes et de dépenses, c’est toute personne prescrivant l’exécution de recettes et/ou de dépenses dans un organisme public. Est comptable public toute personne effectuant à titre exclusif ou non, au sein d’un organisme public, des opérations de recettes, de dépenses ou de maniements de fonds.

Le montant du milliard de francs CFA a été fixé en fonction du budget du Sénégal nous dit-on. Appelé critère financier, le montant peut évoluer tout comme la liste des personnes assujetties en fonction du critère relatif au niveau des opérations financières qu’elles effectuent.

Deux régimes de déclaration de patrimoine que tout oppose

Une analyse comparée des deux régimes juridiques de déclaration du patrimoine permet de distinguer quelques différences fondamentales.

La première, non moins importante est l’instance chargée de recevoir la déclaration. Si la Constitution désigne le Conseil constitutionnel pour recevoir la déclaration de patrimoine du Président de la République avant de la rendre publique, tous les autres assujettis déposent auprès de l’Office National de lutte contre la Fraude et la Corruption (OFNAC) dont les membres sont astreints au secret et à la confidentialité.

La deuxième concerne le délai de soumission. Nous avons évoqué plus haut le silence de la Constitution de 2001 sur ce point. L’article premier de la loi de 2014 donne un délai de trois (3) à compter de la nomination et trois mois à compter de la cessation des fonctions pour cause autre que le décès.

Ce délai n’est pas toujours respecté cependant. Lors du Conseil des ministres du 15 juillet 2020, le Président de la République Macky Sall rappelait « à tous les membres du gouvernement l’impératif de procéder, avant fin août 2020, à leurs déclarations de patrimoine auprès de l’OFNAC ». Le gouvernement était en place depuis avril 2019, soit dix-sept (17) mois.

Les membres de ce gouvernement en place depuis le 1er novembre 2020 (décret 2020-2098 portant nomination des ministres et secrétaires d’Etat et fixant la composition du Gouvernement) avaient jusqu’au 1er février 2020 pour effectuer leurs déclarations de patrimoine.   

La troisième, relative au renouvellement de la déclaration, est également réglée par la loi de 2014 qui la circonscrite néanmoins dans le temps. L’alinéa 3 de l’article premier dispose qu’« aucune nouvelle déclaration n’est exigée à l’assujetti qui aura établi depuis moins de six mois, une déclaration de sa situation patrimoniale dans les conditions prévues par la présente loi ».

La quatrième est liée au traitement de la déclaration. Les articles 5 et 6 pris ensemble permettent à l’OFNAC d’assurer « le traitement des déclarations reçues ainsi que les observations formulées, le cas échéant, par les assujettis sur l’évolution de leur patrimoine » et lorsque ces variations ne sont pas justifiées à la suite de la vérification, l’OFNAC « saisit le Procureur de la République ou tout autre magistrat compétent, conformément à l’article 32 du Code de procédure pénale ».

L’article 32 en question traite des cas de plaintes et de dénonciations et l’opportunité qu’il a de poursuivre, d’organiser une médiation pénale ou de classer l’affaire sans suite. Et donc, si des dossiers transmis par l’OFNAC au Procureur de la République ne « connaissent pas de suite », cela peut signifier au moins deux choses. Il arrive que le parquet et la personne mise en cause aient trouvé un arrangement notamment un remboursement. Il peut s’agir d’une insuffisance de preuves ne pouvant pas fonder des poursuites contre la personne suspectée.  

La cinquième et dernière différence que nous voudrions relever a trait à la sanction pour défaut de soumission de la déclaration de patrimoine. Cette question est réglée par l’article 8 de la loi de 2014 que nous reprenons in extenso ci-dessous :

« L’inobservation de l’obligation de déclaration de patrimoine, sans fait justificatif sérieux et à l’échéance d’un délai de trois (3) mois après un rappel par exploit d’huissier notifié à la diligence de l’OFNAC, à personne ou à domicile entraînera les conséquences suivantes :

  • Si le concerné est élu, il sera privé d’un quart (1/4) de ses émoluments jusqu’à ce qu’il fournisse la preuve de l’accomplissement de l’obligation.
  • Si le concerné relève de l’ordre administratif, l’autorité de nomination pourra, pour ce seul fait, décider de la perte de la position ayant généré l’obligation de déclaration de patrimoine. »

Il faut guetter le rapport d’activités de l’Ofnac pour apprécier la mise en œuvre de cette loi. S’il y’a un élément fondamental à retenir, c’est que la déclaration initiale de patrimoine permet d’évaluer l’évolution du patrimoine de l’assujetti au moment d’effectuer la déclaration de sortie. Le système ne sera performant que lorsque tous les acteurs accepteront de jouer le jeu.

Existe-t-il une troisième voie ?

Depuis que vous avez entamé la lecture de ce texte, je n’ai pas évoqué le statut des magistrats dans le lot des assujettis. Il nous est revenu que les magistrats de la Cour des comptes ont un système distinct de déclaration de patrimoine. Nous poursuivrons la recherche pour en savoir plus. Cette procédure engage-t-elle aussi le Premier président de la Cour suprême et le Président du Conseil constitutionnel ?

Nous sommes en 2021 et aujourd’hui encore, le jeu des acteurs continue d’être ce qu’il est.

La rédaction

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