[299]. CEDEAO contre AES : La diplomatie sénégalaise à l’épreuve
Le Président Bassirou Diomaye Faye réussira-t-il à résoudre le différend CEDEAO contre AES ? C’est en tout cas le challenge que lui a lancé la Communauté à cinq mois de la fin du délai d’effectivité pour le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la CEDEAO. Duel à distance ? C’est la perception que nous en avons eu avec la tenue de deux sommets en 24heures d’intervalles, ce début juillet 2024.
Précisons, de prime abord, qu’une différence nette existe entre une communauté et une confédération. Une communauté, comme celle de la CEDEAO, est définie comme un « groupe social dont les membres vivent ensemble, ou ont des biens ou des intérêts communs« , ce qui diffère de la Confédération de l’AES en termes d’intégration politique et économique. La confédération renvoie à une « union d’Etats indépendants, qui, par un ou plusieurs traités délèguent l’exercice de certaines compétences à des organes communs destinés à coordonner leur politique dans un certain nombre de domaines« .
Trait commun des dirigeants de l’AES : au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat
Le Mali, le Burkina Faso et de Niger, encore membres de la CEDEAO jusqu’au 31 décembre 2024, sont réunis autour de l’AES à la suite de sanctions imposées par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la Communauté. En effet, le Mali est aujourd’hui dirigé par le Colonel Assimi GOÏTA, Président de la Transition et Chef de l’Etat depuis le 24 mai 2021 à la suite d’un coup d’Etat contre Bah NDAW, désigné Président de la Transition par GOITA à la suite du coup d’Etat contre Ibrahim Boubacar KEITA le 18 août 2020.
Quant au Général de Brigade Abdourahmane TIANI, il est devenu Président du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie, Chef de l’Etat du Niger le 26 juillet 2023, après avoir perpétré un coup d’Etat contre le Président élu Mohamed Bazoum.
Le Capitaine Ibrahim TRAORÉ, Président du Faso, Chef de l’Etat, est lui arrivé au pouvoir le 30 septembre 2022 après un putsch contre le Lieutenant-Colonel Paul Henri Sandaogo Damiba, lui-même autour d’un coup d’Etat le 24 janvier 2022 contre le Président élu Roch Marc Christian KABORE
Tout semble différencier la CEDEAO et l’AES, notamment en matière de gouvernance politique. Si pour la Communauté ouest-africaine, l’urgence se trouve dans l’effectivité d’une transition démocratique au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les Chefs d’Etat de ces pays posent comme préalable à tout transfert du pouvoir aux civils, le règlement de la question sécuritaire.
A la CEDEAO et à l’AES, à chacun ses priorités
Les tensions entre la CEDEAO et ces pays ont commencé lorsque des sanctions économiques et politiques ont été prises contre les auteurs de coup de force. Elles se sont exacerbées avec la publication, le 28 janvier 2024, les Chefs d’Etat du Mali, du Burkina Faso et du Niger d’un communiqué conjoint annonçant leur retrait de la CEDEAO “avec effet immédiat”. Le sommet tripartite du 6 juillet 2024 entre les dirigeants malien, burkinabé et nigérien n’a donc été qu’un jalon vers la séparation définitive d’avec la CEDEAO.
Réunis à Niamey, GOITA, TRAORE et TIANI ont annoncé la mise en place de la Confédération des Etats du Sahel. Le communiqué final du sommet mentionne la mise en place de « mécanismes visant à faciliter la libre circulation des personnes, des biens et des services au sein de l’espace AES« . Instruction a également été donné à leurs ministres compétents d’élaborer « dans l’urgence des projets de protocoles additionnels y relatifs en vue de faire face aux implications liées au retrait des Etats de l’AES de la CEDEAO« .
Sur le retrait des Etats membres de l’AES de la CEDEAO, des points de dissonance semblent persister. Pour le Niger, le Mali et le Burkina Faso, le retrait de l’organisation sous-régionale est déjà acté, du fait de l’effet immédiat décrété en janvier 2024. Comme pour préciser la procédure, le communiqué final de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO a jugé utile de préciser les exigences de l’article 91 révisé du traité instituant la Communauté.
Cet article dispose que “tout Etat membre désireux de se retirer de la Communauté notifie par écrit, dans un délai d’un (1) an, sa décision au Secrétaire exécutif qui en informe les Etats membres”, délai au cours duquel cet Etat membre continue à se conformer aux dispositions du traité tout en restant tenu de s’acquitter des obligations qui lui incombent.
Notifiée le 28 janvier 2024, la décision conjointe du Mali, du Niger et du Burkina Faso de quitter la CEDEAO prendra effet en fin décembre 2024, actant le retrait définitif de ces trois pays de la Communauté, sauf si le Président sénégalais Bassirou Diomaye Diakhar Faye arrive à ses fins. En effet, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement l’a désigné « comme facilitateur de la CEDEAO dans les discussions de la Communauté avec l’AES, en collaboration avec le Président togolais Faure Essozimna Gnassingbé » selon le communiqué final de la Conférence.
D’ici là, CEDEAO et AES continuent de s’accuser mutuellement. Réunis à Abuja au Nigéria, les Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO ont exprimé leur « déception face au manque de progrès dans les interactions avec les autorités du Burkina Faso, du Mali et du Niger. » Pour les dirigeants de ces pays cependant, la CEDEAO a une « lourde responsabilité […] dans l’effritement des valeurs de fraternité, de solidarité et de coopération entre les Etats et les peuples concernés […] ainsi que « l’impact néfaste des sanctions illégales, illégitimes et inhumaines, et des menaces d’agression contre un Etat souverain ».
Dialoguer par l’exemplarité
Le Président Bassirou Diomaye Diakhar Faye semblait avoir déjà noué le contact avec les dirigeants du Mali et du Burkina Faso, en les recevant à Dakar lors de sa prestation de serment en tant que Président de la République du Sénégal en avril 2024, et se rendant dans les deux pays ensuite, en visite officielle au mois de mai 2024. Le dossier CEDEAO a sans doute été au cœur des échanges, au-delà du partenariat bilatéral.
Dans une interview accordée à des médias sénégalais le 13 juillet 2024 au Palais de la République, le Président Bassirou Diomaye FAYE indique détenir les atouts nécessaires pour réussir cette mission. Il a notamment évoqué le fait de n’avoir pas été là quand la CEDEAO prononçait des sanctions contre ces trois pays et que ces dirigeants ont une plus grande facilité à lui parler qu’aux autres Chefs d’Etat de la Communauté.
Il a indiqué ne pas pouvoir accepter une situation de fait où il est impossible qu’un dialogue ne puisse avoir lieu entre les Etats de la CEDEAO et ceux de la Confédération des Etats du Sahel. Et même dans le cas où la rupture devient définitive, il faudra néanmoins se parler pour organiser les conditions de sortie et les possibilités de partenariat possible entre AES et CEDEAO.
Dans cette entreprise, le Président Bassirou Diomaye FAYE pourra s’appuyer sur l’expérience et l’expertise du Professeur Abdoulaye BATHILY qu’il a nommé au poste d’Envoyé Spécial par le décret 2024-1317 du 15 juillet 2024.
Engagé en même temps que Président de la République togolaise Faure Gnassingbé dans la médiation, le Président Bassirou Diomaye Faye annonce une visite prochaine au Togo afin qu’ils définissent ensemble la meilleure approche. Le Président togolais, bien qu’arrivé au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat, est parvenu à obtenir une légitimité via des élections. Il est donc susceptible de fournir une perspective à ces trois Chefs d’Etat attendus par leurs populations dans le domaine de la en matière de transition démocratique.