[67]. Indemnisation au Sénégal: l’Etat « barêmise » selon le bailleur
L’indemnisation au Sénégal s’applique suivant l’origine des fonds. Aussi surprenant que cela puisse être, il nous savoir que le gouvernement applique des barèmes différents selon que le financement du projet vienne du budget national ou d’autres partenaires. Il est de bon ton que les règles appliquées sur un même territoire soient uniformes.
Je voudrais échanger avec vous ce matin sur un sujet qui me donne le tournis ces temps-ci. Avec les grands travaux de nos différents chefs d’Etat, des populations sont continuellement appelées à céder leurs zones d’habitation ou de cultures au profit d’infrastructures. A ce jour, le point d’accroche reste la contestation de l’indemnisation.
L’indemnisation est une compensation financière destinée à réparer un dommage et donc on peut retrouver dans le même lexique les termes « dédommagement » et « réparation ». Alal djo djou leu wolof ndiaye nane « ndampay », thiossano si « damp » manam beuss guéne waleu ngir wagni métit.
J’épouse parfaitement la contestation formulée par les différentes populations impactées par ces ouvrages notamment le dernier en date avec l’autoroute à péage Ila Touba confiée à la China road and bridge corporation et financée en partie par l’Etat du Sénégal. Et c’est à ce niveau qu’on veut créer une discrimination entre citoyens.
Parce que c’est l’Etat qui finance
Je me souviens qu’en juillet 2013, Babacar Diouf alors directeur de l’environnement et de la libération des emprises de l’APIX disait ceci du barême d’indemnisation concernant l’autoroute à péage Dakar- Diamniadio
« L’Etat a été accompagné par des partenaires techniques et financiers que sont la Banque mondiale, l’Agence Française de Développement et la Banque Africaine de Développement qui ont leurs exigences en matière d’indemnisation lorsqu’il s’agit de déplacer des personnes affectées par un projet à impact environnemental et social. »
« S’il s’agissait d’un projet financé entièrement par l’Etat, les populations n’obtiendraient pas ce niveau d’indemnisation parce qu’on aurait appliqué les barèmes nationaux qui sont très faibles« , annonçait-il
C’est exactement ce qu’ils ont entrepris de faire sur le projet Ila Touba. Selon donc que c’est Mapathé ou Makhoulé qui prend en charge l’indemnisation, des sénégalais peuvent percevoir + ou -, alors même qu’il s’agit d’ouvrages identiques réalisés sur un même territoire lequel est régit par les mêmes règles.
Et pourquoi donc ? Lou waral lolou ? C’est tout sauf de la justice sociale. Mieux, c’est de la discrimination té lolou dou deug dou yone
Ce qu’ils ne savent pas ou feignent d’ignorer, c’est que ces « exigences » des institutions financières internationales en matière d’indemnisation sont le résultat de beaucoup de sacrifices et d’années de lutte des communautés, d’organisations paysannes ou juste le fait de gouvernements conscients des enjeux et sensibles au mieux être de leurs populations.
Eviter une pratique discriminatoire
Un précédent existe et a permis aux bénéficiaires d’avoir la chance de se reconstruire. On ne peut considérer ce niveau d’indemnisation comme ne liant que ceux qui veulent se l’appliquer. Ce ne peut être un simple éclairci done louniouy takhagn rek sani wala niouy khar bénéne bailleur nieuw.
Les ressources que ces institutions ont investi sur ces projets accordés au gouvernement sénégalais. Ce sont donc nous, citoyens d’aujourd’hui et de demain qui allons rembourser. Un traitement différencié ne peut donc être admis, c’est de la discrimination selon la tête du client. Ce n’est pas juste et le Collectif des personnes affectées a raison de contester.
Ces institutions financières ne peuvent pas nous aimer mieux que notre propre gouvernement, bou amé tamit waroul. Elles ne peuvent mieux se soucier de nos conditions de vie et de sociabilité que nos propres dirigeants. Je ne comprend surtout pas qu’un gouvernement soit aussi radin à l’égard de ses propres citoyens.
Les lois sur l’accès à la propriété ou la possession de la terre ainsi que les procédures de dépossession/indemnisation datent de 1964 et 1976. Elles n’ont plus de prises sur la réalité actuelle et les enjeux du foncier liés notamment à l’accaparement ou la pression sur les territoires.
S’ajuster
La loi donne déjà au gouvernement le pouvoir de déposséder chacun de nous de ses biens dans l’intérêt de la communauté. Celle-ci ne peut cependant intervenir que sous réserve d’une juste et préalable indemnisation. En décidant d’allouer moins que la Banque mondiale, il rompt l’égalité entre les citoyens. C’est ce matay que je dénonce, aux côtés des populations et des bulldozers.
La commission de réforme sur le foncier présidé par le professeur Sourang doit prendre en charge cette question. Cette réforme ne pourra également aboutir si nos députés ne parlent et n’agissent pour le compte de leurs mandants. Ce n’es pas ce gouvernement qui va se précipiter à réévaluer ces barèmes d’indemnisation.
Nous ne pouvons boucher vos oreilles ou fermer vos yeux sur ces complaintes qui nous parviennent chaque jour. J’en parle parce que c’est un débat citoyen, c’est également ma manière de contribuer à leur mobilisation.
3 COMMENTAIRES
Très intéressante la question des indemnisations que tu soulèves, ici. Comme praticien expert de ces genres d'opérations qui accompagnent les projets de développement. Les institutions financières comme la Banque Mondiale, la BAD, la BOAD ou encore les institutions de partenariat pour le développement comme la JICA, l'Union Européenne, l'USAID l'utilisent en toute légalité pour assujettir nos pays et les rendre redevables de l'aide qu'ils reçoivent. La réalité en est toute autre, je trouve que ce sont des outils et instruments financiers qu'ils utilisent pour mieux endetter nos pays.
Certes, on dira qu'un projet de lutte contre la pauvreté ne doit pas appauvrir davantage les populations (logique de la BM ou de la BAD qui voudrait que les populations affectées par les projets soient "traitées" indemnisées au-delà des valeurs des biens perdus, une façon de majorer le prêt contracté à 15% de plus que le coût réel du projet). Socialement c'est positif pour les personnes affectées par le projet (PAP) mais économiquement, c'est négatif pour le reste de la population non affectée par le projet et qui va supporter le paiement de cette dette.
Maintenant selon que le foncier, en question, soit du Domaine privé (Particuliers (TF, Bail, Droit de superficie), de l'Etat et du Public) ou encore du Domaine national, le traitement est différent.
Si la personne affectée dispose d'un foncier du Domine des Particuliers, son indemnisation est totale et généralement le Président de la République signe un décret pour Cause d'Utilité Publique (CUP). Pour le Domaine de l'Etat, aucun problème il est souvent transitoire et provisoire pour passer du Domaine national au Domaine immatriculé ou Domaine qui va passer en Domaine des Particuliers (TF, Bail, ou Domaine Public inaliénable, etc.) Pour ces derniers, le foncier est indemnisé au maximum,la compensation des opportunités perdues!!! et les impenses (bâti, exploitations commerciales s'il y en a, boutiques, ateliers ou autres).
Le véritable problème se trouve sur l'occupation du domaine national… Si aujourdhui, les occupants du Domaine National sont indemnisés au maximum, on risque de courir un grand danger, c'est l'anarchie qui va s'installer même les populations qui n'en ont pas besoin vont occuper des terres. Dans ce cas l'Etat perd sa puissance… Le domaine national représente les restes de foncier libres de propriété ou grévés d'aucune charge ni de l'Etat et ni des populations… Il assure la sécurité nationale. Babacar DIOUF a bien raison. Le risque est grand, c'est la sécurité nationale qui est engagée comme dans les autres pays de l'Afrique Centrale (d'ailleurs dans ces pays, la terre n'appartient à personne mais plutôt aux communes ou l'Etat qui gère tout). Ce sera la course à l'occupation des terres du Domaine national en attente d'une mise en valeur de l'Etat pour exiger une indemnisation.
Néanmoins, on peut proposer une réforme du barème (supérieure à la valeur vénale actuelle). Et en plus, l'on peut toujours renforcer la compensation des impenses et opportunités perdues. Cette stratégie inciterait à au renforcement de l'investissement sur les terres du Domaine National.
Le Conseil que je donnerai: ne pas réformer ce principe d'indemnisation sur l'occupation des terres du Domaine national mais plutôt promouvoir l'accompagnement et l'appui à l'insertion à travers la compensation des impenses.
Seck, c'set bien de respecter la légalité mais la légitimité est meilleure et surtout si les Biens en jeu appartiennent à tous…
Merci beaucoup Badara pour ces précisions. Je reste un peu sur ma faim quand tu dis que ces pratiques dans les compensations sont des outils utilisés pour mieux endetter nos pays. Quel est le pourcentage des dépenses liées aux indemnisations dans le budget global d’investissement?
Généralement, le pourcentage n’est pas fixe et est très variable. La BM octroie un prêt pour financer un projet de développement. Entre temps, elle exige la validation de l’étude d’impact environnementale et social du projet qui est souvent accompagné d’un PAR. La mise en oeuvre de ce PAR est assurée par l’Etat financé par la banque.
Que fait la Banque Mondiale ? La BM exige l’exécution du PAR (recensement, inventaire des BAP et des PAP, indemnisations et libérations des emprises) pour que son financement soit disponible pour le projet.
A ce moment si l’Etat ne dispose pas de liquidités, il est obligé de demander un prêt auprès d’une institution bancaire ou par une autre stratégie de financement (par exemple emprunt obligataire) pour disposer de la liquidité à mobiliser pour les PAP, afin de disposer du financement de la BM. Il prend soit la précaution d’augmenter le prêt ou bien il maintient la dette déjà contractée pour payer les PAP (souvent très chère!!! par le taux souvent supérieur à 15% parce que Banque commerciale).
Ainsi au finish, le projet va coûter plus que son coût initial. Son coût global sera alors coût initial + Budget PAR…. Tu vois les histoires de PAR c’est bien parce que c’est du social mais il faut l’accepter nos Etats s’endettent encore et encore…