9 novembre 2024

[94]. Manipulation en politique: comment y échapper?

 [94]. Manipulation en politique: comment y échapper?

La manipulation en politique est un sujet qui passionne beaucoup d’entre nous; certains pour la décrypter pour y échapper, d’autres pour la répliquer dans d’autres domaines. Il semble donc que tous manipulons. Sommes-nous alors en mesure d’y échapper? Avec quels outils le cas échéant ? Voilà les questions auxquelles la sociologue Zeyna Njaay a essayé de répondre. Ci-dessous sa réflexion.

Manipulation et politiques, un vieux couple comme il s’en crée dans toutes les démocraties. Pratique bonne ou mauvaise en soi, voyons comment cela se présente

Tout est parti d’une commande d’article sur ce qu’on pourrait appeler la « victimisation » des leaders politiques. Cette pratique qui permet d’engranger des électeurs mais plus encore, ce qu’un citoyen pouvait apprendre d’une telle discussion. Au cours de nos échanges, il m’informa de l’annonce de la publication prochaine de ce billet, une manière dit-il de me mettre un peu plus de pression.

J’ai considéré cette manœuvre comme un motif de rupture du contrat. « Si tu veux rompre, ne te gênes pas, je dirais juste [aux lecteurs] que tu as renoncé. » m’a t-il rétorqué. « Est-ce que tu sais que ce que tu viens de faire peut être l’une des explications de la problématique que tu poses?« . La discussion était déjà introduite.

En effet, quand on fait référence à la « victimisation« , on parle de manipulation de l’opinion publique qui est ici, le fait de leaders politiques. La politique étant l’art de gérer la cité avec une large part de gestion liée à la communication, il est donc important de voir dans quelle mesure celle-ci sert ou dessert le politicien qui en use.

Notre contexte s’y prête bien. Nous sommes au Sénégal, pays qui se nourrit trop de politique et ne nourrit pas assez la politique. Cela est le fait d’une classe politique trop oligarque. Celle-ci ne lésine sur aucun moyen pour conserver des privilèges que leur octroient leurs fonctions alors que cela devrait être un sacerdoce.

L’art de la manipulation est d’une grande subtilité puisqu’il modifie le comportement de la cible. En l’occurrence la masse pour influer et changer sa perception du réel. En ce sens, la manipulation comme emprise exercée sur une personne pour le contrôler, est un pivot de la politique pratiquée au Sénégal

Plusieurs techniques sont utilisées contre les masses mais intéressons-nous à la victimisation.

Les techniques et outils de la victimisation

Retenons que la victimisation est un processus dans la psychologie d’un individu qui le dédouane de sentiments pouvant être culpabilisants ou d’une quelconque responsabilité. Parmi les 10 stratégies de manipulation de la masse énoncées par Noam Chomsky, la victimisation fait appel à trois stratégies de manipulation.

Il y’a la stratégie de la distraction, élément primordial du contrôle social, appelée aussi stratégie de la diversion. Il consiste à détourner l’attention du public des problèmes importants et des mutations décidées par les élites politiques et économiques grâce à un déluge continuel de distractions et d’informations insignifiantes.

Cette diversion est indispensable pour empêcher le public de s’intéresser aux connaissances essentielles dans divers domaines.  Pour ce faire, il faut en permanence « garder l’attention du public distraite, loin des véritables problèmes sociaux, captivée par des sujets sans importance réelle » (extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »).

Manipuler, c’est aussi faire appel à l’émotionnel, technique classique pour court-circuiter l’analyse rationnelle, et donc le sens critique des individus. De plus, l’utilisation du registre émotionnel permet d’ouvrir la porte d’accès à l’inconscient pour y implanter des idées, des désirs, des peurs, des pulsions, ou des comportements.

Enfin, connaitre les individus mieux qu’ils se connaissent eux-mêmes est une avancée qui a été rendue possible par les progrès de la science au cours des 50 dernières années. Les progrès fulgurants de la science ont creusé un fossé croissant entre les connaissances du public et celles détenues et utilisées par les élites dirigeantes.

Le « système » est donc parvenue, grâce à la biologie, la neurobiologie et la psychologie appliquée, à une connaissance avancée de l’être humain, dans son physique et dans sa psychologie. On en est arrivé à mieux connaître un individu moyen que celui-ci ne se connaît lui-même et donc à exercer sur lui un plus grand pouvoir.

Au Sénégal, la politique est presque devenue un métier pour certains. Embrigader les masses, les faire adhérer à son idéologie et à son combat deviennent presque impérieux pour garder une place dans le système.

Par ailleurs, la société sénégalaise est une communauté qui réagit énormément aux sentiments particulièrement à l’injustice. Nous avons eu plusieurs cas de victimisation de leaders politiques et celles-ci ont, pour la plupart su se positionner en situation de faiblesse. Les hommes politiques l’ont tellement compris qu’ils l’utilisent souvent contre la société.

La technique de la « victimisation » implique que l’oppression ne soit jamais la conséquence de ce que la victime a effectivement fait à l’oppresseur et donc, quelles que soient les stratégies de résistance que la victime choisit, celles-ci sont légitimes. L’auto-défense porte ainsi en elle sa propre justification.

Les médias aidant, elle permet aux politiciens de susciter l’intérêt d’un public dont il faut constamment capter l’attention. Ce « quatrième pouvoir » cible ses médiations sur les événements susceptibles de capter l’émotion et de faire réagir. Les informations sont données par parcimonie pour tenir la masse en haleine et partiellement, influencer sa perception du fait réel.

Les effets indésirables de cette « malédiction »

Un de ces effets est la « minimisation condescendante » qui fait que toute action, toute déclaration venant du manipulateur soit exagérée. L’analyse de l’homme politique est souvent considérée comme tronquée même quand il dit la vérité parce qu’il est jugé comme un dénonciateur hystérique ou un donneur de leçons qui se croit plus intelligent que tous.

L’autre effet pervers est la « négation et le renvoi de la responsabilité » qui fait que le manipulateur est considéré comme responsable de tout ce qui lui arrive. Il se positionne en victime mais le public lui renvoie la responsabilité de sa situation convoquant ses propres insuffisances, son inconsistance dans ses actions, ses propos et sa condescendance.

La victimisation n’est donc rien d’autre qu’une technique de manipulation des masses utilisée autant par les leaders politiques que les leaders d’opinion même s’il est vrai que sous nos contrées, la plupart de celles qui ont été dévoilées ont été l’œuvre des premiers nommés.

Ces techniques sont à utiliser avec parcimonie pour la bonne raison que de plus en plus les populations considèrent que les politiciens sont dans un cercle vicieux tel que leurs actions relèvent souvent du complot. La question fondamentale est alors de savoir comment y échapper.

Peut-on y échapper à la manipulation en politique ?

Contourner et échapper à la manipulation est chose difficile. L’esprit peut-il échapper à la manipulation ? Cette question est purement philosophique et ne peut, en mon sens, être réglée qu’au niveau personnel. En ce qui concerne la masse, la réponse à cette question serait l’éducation.

Tout est objet et moyen de manipulation de nos jours particulièrement les média. L’individu manipulé ne se reconnait jamais comme tel d’où la difficulté de savoir comment y échapper. Il existe quand même des moyens d’échapper à ce tourbillon et nous en retenons quelques éléments.

La première chose est d’être conscient du fait que nous sommes tous manipulables quelque soit notre niveau de connaissance et d’intelligence. Spinoza disait « à quoi bon vouloir, si toute pensée est esclave ; ils ont conscience de leurs désirs, mais point des causes qui les font désirer et vouloir… »

A la base, le recours principal contre la manipulation est le savoir. Ainsi, se questionner, comprendre le pourquoi des choses, interroger les liens de causalité devient un impératif pour tenter d’échapper à la manipulation. Seul le savoir peut nous permettre d’avoir une certaine objectivité.

Au-delà, Il faut impérativement multiplier ses sources puisque la plupart des informations sur lesquelles nous nous basons pour faire des analyses et/ou porter un jugement ne sont pas vécues mais nous ont été données par les médias. La démocratisation de l’information avec Internet, permet très souvent d’y arriver même si cela ne garantit pas forcément sa véracité.

Les faits divers sont ce qui touchent le plus la masse, et de ce fait, les hommes politiques l’intègrent dans leurs communications afin de toucher ce qu’il y a de plus irrationnel en nous : nos émotions. Et donc, Il est important d’analyser les informations avec raison même quand elles sont difficiles à appréhender sous cet angle.

En effet, la victimisation implique la prise de parole en public pour s’exprimer sur sa souffrance ou le tort qu’on nous oppose. L’instrumentalisation de la souffrance pour toucher les émotions nous mène à la commercialisation du sensationnel, de l’empathie.

Aujourd’hui chaque citoyen est un média et a donc le devoir, au-delà de la véracité de l’information, de savoir le but et l’intérêt de cette information pour la société. Mais pour cela une seule clef : l’éducation. Je ne parle pas d’instruction mais d’éducation c’est-à-dire des connaissances, un savoir basé sur des valeurs telles que l’intégrité et l’objectivité.

Zeyna Njaay

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