15 octobre 2024

[184]. Du métier de psychologue au Sénégal – part 2

Nous avions, dans une première partie, échangé sur les différents spécialistes. Nous y avons tour à tour évoqué les métiers de thérapeute, de psychanalyste, de psychiatre ou de psychologue.  Il nous reste maintenant à échanger sur vos besoins de consultation, nos méthodes de travail ainsi que la catégorie de patients que nous recevons en générale. Repartons d’abord aux origines de la psychologie

Un psy pourquoi faire ?

Le terme « psyché » que l’on partage largement entre « psy » signifie l’âme, l’esprit. Ainsi a « psyché » a-t-on rajouté « iatros » pour le psychiatre qui est le médecin de l’âme; rajouté « logos » pour psychologue qui est celui qui écoute le discours ou le raisonnement de l’âme; rajouté « analysis » pour psychanalyste : celui qui analyse l’âme et enfin « clinicus » que l’on peut traduire par thérapeute, pour celui qui soigne l’âme au chevet du patient (« cliné » = le lit). Cette question de l’âme est au centre de nos préoccupations pour de multiples raisons.

Mais d’abord pourquoi parle-t-on d’âme ? N’est-ce pas dans la religion que l’on trouve ce terme ? Eh bien oui et non. Il faut remonter très loin pour s’apercevoir que les premiers à s’être intéressés à la question de l’âme humaine sont les philosophes gréco-romains ainsi que certains philosophes arabes. De ce questionnement est nait progressivement le groupe des moralistes puis les théologiens avant même que l’on ne parle de religions révélées par différents textes de référence selon les obédiences.

Ainsi, on aura donc compris que cette question de l’âme toute philosophique soit-elle a aussi été à l’origine de la médecine et spécialement de la psychiatrie. C’est d’ailleurs Hippocrate qui en jette les bases avec la « théorie des humeurs » qui tente de donner forme à une première représentation explicative des problématiques psychiques et comportementales. Celles-là même qui peuvent soit perturber le fonctionnement du corps, soit être perturbées par les disfonctionnements du corps.

Evidement, plus les siècles se sont écoulés, plus la pensée s’est complexifiée en même temps que les outils. A l’époque antique, la saignée était très prisée pour purifier notamment le sang des mauvaises influences des humeurs. Aujourd’hui, ça ne traverse plus vraiment l’esprit des médecins de pratiquer cette méthode en psychiatrie. Ils ont en revanche acquis des connaissances sur l’usage de certaines molécules selon une situation donnée. On est d’ailleurs en passe de développer avec le concours des pharmaciens hyper spécialisés en biologie, des traitements qui pourront bientôt être dosés en sur mesure pour un tel patient.

Cela étant, la psychologie s’est détachée de la philosophie, de la neurologie, de la physiologie et de la médecine aliéniste (ancien nom de la psychiatrie) pour devenir une discipline à part entière. La psychologie devient une discipline universitaire au 19ème siècle d’abord à Harvard et Leipzig. En France, à la fin du 19e siècle est créé le premier laboratoire de psychologie à l’hôpital de la Salpêtrière par le Professeur de neurologie, Jean Martin Charcot (dont Freud a été l’élève).

Cette nouvelle discipline a permis de développer des corpus de connaissances novatrices sur les comportements humains et spécialement sur le traitement de l’hystérie au moyen de l’hypnose. S’y développe aussi une méthode d’enseignement de la psychologie par la présentation ou l’étude de cas ou réels particulièrement développée par la suite à l’hôpital Saint-Anne par Lacan dans les années 70.

L’avènement de la psychanalyse est venu apporter du souffle aussi bien en psychiatrie qu’en psychologie et vient contredire un certain nombre de théories et de mode de traitement de l’hystérie, spécialement la suggestibilité (une certaine forme de guidance ou d’emprise sur le patient) de l’hypnose. La psychanalyse a aussi permis de développer des corpus de connaissances sur les processus inconscients et d’ouvrir le regard des professionnels du soin psychique à de nouvelles possibilités de travail et d’investigation notamment par la méthode de l’association libre qui s’oppose à l’hypnose.

La psychanalyse a également ouvert le champ du développement des prises en charge et notamment à partir des années 50 en France. Il s’agit par exemple de la prise en charge des enfants qui avant étaient, soit enfermés à l’asile ou envoyés en prison dès 2 ans, avec pour seule horizon la mort. La psychanalyse a permis d’humaniser le rapport aux enfants et de développer tout un tas de dispositifs d’éducation bienveillante par exemple.

Une autre avancée permise par le développement de la psychanalyse en France est l’entrée de la psychologie à l’Université. L’UER (Unité d’enseignement et de recherche) en Sciences Humaines Cliniques (devenue Unité de formation et de recherche UFR, en 1985) a été créée en 1969 à la demande d’un groupe d’enseignants de la Faculté des Lettres de la Sorbonne (Section Philosophie – Psychologie) mené par Madame le Professeur Juliette Favez-Boutonier (avec notamment Jacques Gagey, Claude Prévost et Pierre Fédida).

C’est à cette occasion que fut obtenue, pour la première fois en France, la reconnaissance du titre national universitaire de psychologue clinicien. Lorsqu’en 1970, fut créé l’Université Paris 7 – Denis Diderot, on lui attacha l’UER Sciences Humaines Cliniques avec une orientation psychanalytique fixée par Monsieur le Professeur Jean Laplanche, éminent spécialiste de la psychanalyse en France, encore incontournable dans nos formations actuelles.

A l’Université, il n’y a pas en principe, de présentation de cas comme à l’hôpital. En revanche très tôt, on fait travailler nos étudiants sur des études de cas écrites puis lors des stages, ils présentent en séminaire les sujets (réels) sur lesquels vont porter leurs travaux universitaires tout en respectant les règles de confidentialité.

Le psychologue clinicien, psychopathologue, en pratique

Le « psy », quel qu’il soit et aussi qualifié ou rodé dans sa pratique qu’il soit, reste un être humain. Et à ce titre, a lui aussi besoin de connaître ses limites. En moyenne, quand il ne fait qu’exclusivement du cabinet, le psychologue peut au maximum conduire correctement 40 consultations par semaine soit 35 à 40 heures de consultation. Dès lors qu’il a d’autres activités, la moyenne baisse. Au Sénégal, compte tenu du déficit en psychologues, en général, nous sommes à notre maximum.

Il a aussi besoin de s’aménager du temps de repos, du temps de formation, du temps de supervision et éventuellement du temps pour avoir une vie. Le psychologue a aussi besoin de savoir dire « non » souvent aux multiples sollicitations pour préserver aussi bien sa santé physique que psychique. Il a besoin de s’équilibrer avec diverses activités qui n’ont pas de lien direct avec son travail. Dans mon cas : m’occuper de mon enfant, les sports, les arts, la bonne cuisine surtout quand je ne le fais pas, les voyages de découverte.

Lorsqu’il a fini sa formation initiale universitaire, la formation pratique du psychologue ne s’arrête en principe jamais puisqu’il a l’obligation de tenir ses compétences à jour des nouvelles avancées dans sa discipline. Sauf s’il a une orientation psychanalytique car c’est intégré depuis la formation initiale donc on continue même une fois l’université terminée, il lui est vivement conseillé de faire une analyse personnelle (soit une psychanalyse soit une psychothérapie.

La mienne a duré 11 ans à raison d’une fois par semaine chez une psychologue clinicienne d’orientation psychanalytique puis chez un psychiatre-psychanalyste freudien) et de participer à des séances de supervision (donc avec un psychologue ou un psychanalyste plus avancé que lui dans sa pratique normalement) ou à des séances d’intervision entre pairs.

Cela lui permet d’une part de réfléchir à son implication auprès de ses patients. Et d’autres part de solliciter ses collègues pour réfléchir soit à une difficulté avec un patient soit déposer aussi une partie des traumatismes reçus toute la journée. Cela pour s’en dégager mais aussi pour les décondenser et les mettre au travail pour améliorer sa pratique avec ses patients.

Au Sénégal, ce n’est pas évident car le seul psychologue d’orientation psychanalytique qui pouvait encore faire des supervisions part à la retraite et est submergé de travail. C’est pourquoi celles et ceux qui en ont les moyens ou la possibilité font leur supervision et leur intervision à l’étranger. C’est mon cas et à la moindre difficulté j’appelle mes collègues lyonnais. Quand je m’y rends également, je vais voir mon analyste pour lui déposer tous mes problèmes et revenir à Dakar allégée.

Outre ces différents aspects, le psychologue a, dans son code de déontologie, l’obligation de porter assistance à ses pairs. Dès lors qu’un psychologue a un problème, il peut solliciter un collègue et en discuter avec lui. En principe aussi, les psychologues soutiennent leur collègue en cas de litige avec des patients ou avec des administrations ou institutions. Je ne sais pas encore vraiment si au Sénégal ce fonctionnement est vérifiable car pour l’heure personne n’a encore été confronté à une situation de cet ordre-là.

Le psychologue: mode d’emploi

Contrairement au psychiatre, on n’est pas obligé de souffrir d’une maladie mentale pour aller voir le psychologue. On peut y aller parce qu’on a simplement besoin de réfléchir sur soi-même, qu’on a un souci relationnel ou professionnel ponctuel sur lequel on souhaite réfléchir. Le psychologue n’a en général pas de solutions toutes faites à vous donner.

Son travail consiste à étudier avec vous votre fonctionnement, ce qui échappe à votre appréhension de votre fonctionnement (les points aveugles), à vous interroger sur des points auxquels vous n’avez jamais réfléchis, à vous faire voir différentes perspectives que vous avez laissé de côté dans vos raisonnements ou dans vos tentatives de solutionner un problème.

Pour se faire, tout y passe : enfance, adolescence, relation avec vos proches, relations amicales, amoureuses, sexuelles, votre parcours scolaire, universitaires, professionnels, vos rêves, vos cauchemars, vos fantasmes, vos petits plaisirs cachés, vos difficultés, vos peurs, vos angoisses… bref un maximum de vous-même (pour ne pas dire tout parce que ce n’est pas possible).

Ce faisant, il prévient les décompensations (les pertes d’équilibres mentaux : troubles somatiques, troubles mentaux passagers, etc. d’où l’intérêt d’aller voir un « vrai » psychologue), soigne ou sollicite le psychiatre ou d’autres spécialités médicales pour prendre en charge certains problèmes de santé, qui pourraient survenir à l’occasion de cet exercice. Il prévient aussi les difficultés d’adaptations qui pourraient venir du fait qu’en déplaçant vos points de vue sur vous, vous vous transformiez et que votre environnement se mette aussi brusquement à changer sa manière de vous percevoir.

En ce qui me concerne particulièrement, il y a aussi tout le champ médico-légal que je prends en compte et notamment je préviens les risques que peut courir une victime ou une potentielle victime, j’informe sur le plan légal, je mets en relation mes patients avec des personnes ressources chez lesquelles elles peuvent éventuellement aller trouver des informations complémentaires, essentielles pour elles. Donc je passe aussi beaucoup de temps au téléphone à solliciter mes collègues médecins, soignants au sens général comme mes collègues juristes (juges, avocats, police).

Dans un autre registre, le psychologue sert aussi à faire travailler des équipes de soins ou de travail social sur leurs pratiques professionnelles. A Dakar, ce n’est pas encore vraiment développé sauf dans quelques rares ONG. En France c’est quasi systématique. On n’imagine pas ne pas avoir de temps d’analyse des pratiques et certaines équipes se mobilisent parfois durement pour faire respecter ce droit à la formation continue ainsi qu’au soutien dans leur pratique quotidienne.

Il y a aussi tout le champ de la formation continue avec des sessions de formation ou des séminaires thématiques à l’endroit de différents professionnels dans différents secteurs (hôpitaux, administrations, ONG, entreprises etc…). Ces secteurs aussi ne sont pas encore véritablement au point sur ces questions au Sénégal mais j’espère qu’en vulgarisant tout le travail du psychologue, cet état de fait évoluera pour un mieux-être et des personnes souffrant dans leur âme et pour les professionnels qui affrontent des réalités et des situations parfois extrêmement difficiles.

C’est aussi en cela que l’idée que la psychologie serait réservée aux toubabs, perd de son intérêt car il n’y a pas que les toubabs qui souffrent. Tout le monde peut souffrir à l’occasion de situations aussi classiques qu’un divorce ou qu’une promotion professionnelle avec une énorme pression de performance.

Cela d’autant plus que dans ces situations, les pressions sociales peuvent s’accroître dans la mesure où le ratio pour trois personnes qui travaillent est de sept qui ne travaillent pas et pèsent de tout le poids de leurs besoins et exigences sur ceux qui travaillent par exemple. Ou encore que le regard des proches puisse venir heurter plus ou moins violement les velléités d’autonomie ou d’indépendance de certains qui en ont pourtant les moyens financiers.

Le psychologue en vrac

Pour finir, les honoraires des psychologues sont libres comme mentionnés dans le code de déontologie. On n’a pas le droit de concurrencer nos collègues en principe comme on ne peut pas en privilégier certains au détriment d’autres.

En revanche au Sénégal comme nous ne sommes pas bien nombreux, on s’est entendu pour s’adresser mutuellement des patients qu’on sait ne pas pouvoir prendre en charge ou qui seraient mieux pris en charge par certains du fait soit de leurs spécialités, de leurs domaines d’intérêts, du recours à certains outils plus qu’à d’autres etc.

Pour prendre rendez-vous, c’est en général aussi simple qu’aller chez le médecin. Certains ont des secrétariats, d’autres se font appeler directement sur leurs numéros professionnels. Le plus souvent c’est les deux en ce qui me concerne, puisque j’ai un véritable assistant (que j’ai soumis aux mêmes règles déontologiques auxquelles j’ai souscrit en devenant psychologue) que depuis très peu de temps. Il m’arrive d’être contacté aussi par Facebook notamment à l’occasion de certains posts ou de certaines interventions dans les médias.

Bref contacter un psychologue n’est pas le plus difficile, en général c’est de se reconnaître en difficulté, susceptible d’avoir besoin d’être aidé et de devoir mettre des mots sur sa souffrance, parler de soi et de son intimité à quelqu’un que l’on ne connaît pas et l’angoisse envahissante d’être jugé dès lors que le psychologue ouvre la bouche, ce qui reste le plus compliqué pour un patient.

Souvent les femmes sont plus en mesure d’effectuer cette démarche notamment du fait de la socialisation différentiée. En effet, elles sont souvent élevées dans l’idée d’être plus en relation avec leur monde interne. Le groupe social leur tolère davantage l’expression de leurs émotions comme de leur mal-être.

Paradoxalement pas pour tout : il ne faut pas se plaindre quand on est enceinte et encore moins faire connaître sa douleur à l’accouchement ; ce qui est proprement ridicule quand on connaît ce qui est enduré par le corps à ce moment-là. Mais il y a d’autres situations : l’excision, les premières relations sexuelles spécialement lorsqu’elles sont maritales etc.

Cela est moins le cas des hommes auxquels le groupe social inculque une certaine forme de stoïcisme comme s’ils étaient des machines à performer et à endurer tout et n’importe quoi, que l’on confine aussi à certaines tâches et pas d’autres (notamment être proche et élever son enfant avec douceur et bienveillance ; en général c’est plutôt une tâche dévolue aux femmes).

Même si les femmes consultent davantage que les hommes et sont plus vulnérables face à certaines pathologies mentales (angoisses, dépressions), les hommes restent plus vulnérables que les femmes dans leur adaptation sociale. Souvent, c’est sur la scène sociale qu’ils viennent exploser littéralement. Cela notamment par des passages à l’acte hétéro et auto agressifs (cris, insultes, coups et blessures, meurtre) ou à l’occasion de morts violentes (suicides « maquillés » en accident de voiture violent qui ne peuvent être révélés que par des autopsies psychologiques encore inexplorées au Sénégal me semble-t-il).

Les hommes sont largement plus handicapés que les femmes pour solliciter de l’aide et savoir parler de leurs tourments internes, solliciter de manière pacifiée de la consolation et de la compréhension lorsqu’ils n’arrivent pas à réaliser les attentes sociales qui sont attachées à leur genre.

Ndeye Khaira Thiam
Psychologue clinicienne
Spécialisée psychopathologie, criminologie clinique
Et en pathologies psychiatriques

Khaira Thiam

Vous exprimer sur le sujet

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Open chat
Besoin d'aide ?
Scan the code
Bonjour 👋
Dites-nous comment nous pouvons vous aider !