[305]. Réponses communautaires aux violences faites aux femmes et aux enfants
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Ce dimanche 5 janvier 2025, le Divan Citoyen a tenu une conversation sur les réponses communautaires face aux violences faites aux femmes et aux enfants. Bien que la discussion ait concerné l’environnement sénégalais, les points clés de cette session restent valables dans de nombreux pays confrontés à ces violences et où des acteurs travaillent à y apporter des solutions.
Pour introduire les débats, nous avons eu le plaisir de recevoir Jaly Badiane, militante des droits humains, et Emmanuel Diokh, coordonnateur de la Génération Super Papa. La session, dont le replay est disponible ici, a permis de mettre en exergue les solutions structurelles, notamment la mise en place d’une politique nationale de prise en charge. Celle-ci devra inclure la prévention et des mesures efficientes de prise en charge des victimes, sans oublier l’implication des communautés et un effort soutenu dans la déconstruction.
Une problématique complexe, mais prioritaire
Sommes-nous en présence d’une inflation des violences sexuelles exercées sur les femmes et les enfants ? Pas si sûr selon Jaly Badiane. Elle considère qu’en l’absence de statistiques à jour, l’on ne peut parler que d’une perception. Celle-ci peut être attribuée à une plus grande médiatisation et à l’impact des réseaux sociaux, plutôt qu’à une réelle recrudescence. Au-delà du fait qu’une seule victime devrait suffire à mobiliser tout le corps social, il faut veiller à ce qu’un débat sur les données liées aux violences sexuelles ne conduise à minimiser le phénomène et à laisser place à une culture de la violence ou du viol.
ONU Femmes définit la culture du viol comme « l’environnement social qui permet de normaliser et de justifier la violence sexuelle, alimentée par les inégalités persistantes entre les sexes et les attitudes à leur égard ». Elle cherche souvent à culpabiliser les victimes au lieu de blâmer les auteurs, d’où la nécessité de déconstruire tout un ensemble de normes sociales établies. « Le seul responsable d’un acte de violence est son auteur », a martelé Jaly Badiane. Cette déclaration illustre un plaidoyer pour déconstruire les justifications fréquentes telles que l’apparence, l’habillement ou le comportement des victimes.
Quand dépasserons-nous le stade où les réflexions portent sur ce qu’elle portait, ce qu’elle faisait ici ou là, ou avec qui elle était ? La honte, le blâme et la condamnation doivent aller au bourreau, à l’auteur de la violation, et non à la victime. Il faudrait donc que notre génération actuelle (nous sommes en 2025) s’engage réellement et pose les actes nécessaires pour engager les réformes attendues.
Déconstruire certaines normes sociales
Les intervenants ont été unanimes sur le fait que la première étape dans la déconstruction est de se poser des questions. Posons-nous alors des questions simples auxquelles nous devons toutes et tous être en mesure de répondre : Quelle place la société fait-elle aux femmes et aux enfants ? Quel rôle social leur fait-on jouer ? À quels mécanismes de protection peuvent-ils prétendre ? Quels types d’interactions avons-nous les uns avec les autres ? Vous y avez répondu ? Nous oui, et les résultats de nos réflexions sont sans appel : nous avons encore du chemin à faire, et beaucoup d’ailleurs. Analysons ensemble les éléments.
Selon Jaly Badiane, la déconstruction des normes sociales qui contribuent à la perpétuation des violences basées sur le genre est non seulement un préalable mais une urgence. Tant qu’on n’arrivera pas à déconstruire la place de la femme et de l’enfant dans nos milieux sociaux, le rôle qui leur est attribué et les pratiques qui leur sont appliquées, nous arriverons à peu de résultats. Ou alors nous y arriverons dans un horizon très lointain tandis que le nombre de victimes s’accroît. La première étape est de considérer les personnes proches ou lointaines comme des êtres humains à part entière. Les féministes mettent en exergue le « And Nawle », expression qui renvoie à une égalité et à la considération d’une personne. On doit avoir un regard sur l’évolution de la société et du cadre légal qui organise le comportement des uns et des autres.
La déconstruction passe par l’action individuelle et collective. À titre individuel, chacun.e devra se sentir concerné.e par les violences qui s’exercent sur les femmes et les enfants. Aujourd’hui, beaucoup d’entre nous se sentent concerné.e.s parce que les victimes sont leurs proches ou ont un lien direct avec elles. Cette attitude pousse à se poser des questions, notamment ce qu’il en adviendrait si les victimes ne nous étaient pas liées. Adopterions-nous une position de passivité ? Nous sentirions-nous concerné.e.s ? Il faut donc rompre avec le discours qui place toujours les femmes au statut de « mères, de sœurs ou d’épouses ». Idem pour nos enfants. Elles et ils ne sont pas que cela, elles et ils sont parties intégrantes de la société et ont un rôle à jouer dans toutes les sphères et à tous les niveaux de la société.
Une autre priorité est de déconstruire l’idée que les femmes n’existent que par leur rôle d’épouse ou de mère. Les femmes doivent être reconnues pour leurs compétences, leurs ambitions et leurs contributions à la société. De l’avis de la plupart des intervenants, notamment Emmanuel Diokh, les hommes doivent développer davantage leurs connaissances du fonctionnement du corps de la femme, du cycle menstruel, de la grossesse et de l’accouchement. S’informer sur ces questions, au mieux les maîtriser, pourrait contribuer à faire évoluer le comportement masculin. Il en est de même de la posture des hommes envers les enfants, leur comportement, leurs besoins et donc une plus grande implication. Le rôle des hommes ne devrait pas seulement se limiter à la prise en charge matérielle. Il faut plus, et c’est cette implication que promeut la Génération Super Papa.
Repenser les croyances religieuses et culturelles
Jaly Badiane a noté que le discours religieux est souvent invoqué pour justifier les discriminations envers les femmes et les enfants. Souvent, ce discours est basé sur des normes sociales présentées comme des préceptes religieux. Il est donc essentiel d’éduquer les masses sur ces questions religieuses pour permettre à chacun de challenger ce qui est dit, entendu et lu. Une relecture critique des textes, adaptée à notre contexte, serait également bénéfique dans la lutte contre les inégalités.
L’idéologie largement véhiculée veut qu’une femme ne puisse se réaliser sans un homme, qu’elle doit souffrir pour que ses enfants réussissent et qu’elle gagne le paradis. « Dans notre société, on digère mal qu’une femme aille bien sans l’action d’un homme », révèle Jaly Badiane. Cette philosophie est un pilier du système de négation de la valeur de la femme. Les femmes ne sont pas des unités de mesure de la douleur.
Il est inconcevable pour certains qu’une femme puisse discuter de religion à égalité avec un homme. Pourtant, partout dans le monde, des femmes enseignent le Coran et la science islamique avec un niveau d’érudition comparable à celui des hommes.
Veiller à une application efficiente du dispositif légal
Le Sénégal est souvent salué pour ses ratifications d’instruments internationaux et régionaux, mais l’adaptation de la législation nationale reste un défi. Par exemple, bien que le Sénégal ait ratifié le Protocole de Maputo, les autorités n’ont pas encore adapté la législation nationale pour permettre l’interruption médicale de grossesse dans certains cas.
La criminalisation du viol est une avancée, mais il faut veiller à une application réelle de la loi. La société sénégalaise doit atteindre un stade où l’application des dispositions juridiques ne soit plus une labeur, surtout lorsqu’elles protègent les femmes et les enfants. L’institution d’un registre des délinquants sexuels est souvent discutée et mérite une session spécifique. Les processus d’élaboration des lois doivent être inclusifs pour anticiper les failles ou blocages potentiels.
Mobiliser des acteurs à différents niveaux
L’école peut être un levier de changement en devenant un espace de sensibilisation pour briser les croyances erronées sur les rôles genrés. Les intervenants ont souligné l’importance de l’éducation des parents et de la société pour transformer les comportements hérités et souvent toxiques. « Dans nos sociétés, on devient parent ou conjoint par imitation, sans réelle préparation », a rappelé un intervenant.
Les forces de défense et de sécurité doivent être outillées pour prévenir et prendre en charge les cas de violences sexuelles. Des formations sont nécessaires pour renforcer leurs capacités, et il est crucial que la relève soit assurée lorsque les agents formés sont affectés ailleurs.
Le manque de coordination entre les divers acteurs nuit à la cause des femmes et des enfants. Les données sur les violences basées sur le genre sont souvent éparses ou non substantielles, ce qui complique la mise en place d’une politique de prise en charge efficiente. Les intervenants doivent faire preuve d’ouverture et d’humilité, notamment dans la collaboration avec les communautés, qui sont des acteurs de changement.
Les médias ont un rôle clé à jouer dans la sensibilisation, loin du sensationnalisme. Ils doivent participer de manière responsable et traiter les violences basées sur le genre avec sérieux, en évitant de les réduire à des faits divers.
Rester mobilisé.e.s pour l’avenir
Ce forum marque une étape importante dans la prise de conscience collective. Cependant, pour espérer des avancées significatives, les efforts doivent s’intensifier, aussi bien au niveau communautaire que national. La lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants nécessite l’engagement de tous, au-delà des liens familiaux et des appartenances sociales.