9 septembre 2024

[104]. Engagement citoyen : Je viens d’un pays où…

 [104]. Engagement citoyen : Je viens d’un pays où…

L’engagement citoyen est une doéée fondamentale qu’il nous faut développer en Afrique. Dans cette contribution Anne Marie Befoune, blogueuse sur ellecitoyenne revient sur son expérience.

Séjourner au Sénégal, y découvrir la force de changement du militantisme et se mobiliser en usant de l’outil qu’est Internet, donne espoir et fait peur. Cette contribution nous vient d’un pays où …

La première des choses qui m’a frappée lorsque j’ai posé mes bagages en 2013 au Sénégal  est la (relative) facilité avec laquelle les citoyens manifestent dans la rue pour revendiquer leurs droits. La première fois que j’en ai entendu parler,  c’est les yeux ronds de stupéfaction que j’ai regardé mon interlocuteur.

Je lui ai demandé de répéter ce qu’il venait de me dire : « des citoyens manifestent à Dakar pour exprimer leur mécontentement en ce moment même. » J’aime mon pays le Cameroun. Cependant vivre au Sénégal m’a révélé une face de lui dont je n’avais pas conscience. Le visage de la répression.

Je viens d’un pays où on ne manifeste pas. Où on se tait. On subit. Où on accepte. Où on espère. Où on prie. Je viens d’un pays où c’est le cœur battant de peur qu’on s’arrête à un contrôle de police. Un mot ou un regard jugé déplacé peut nous faire « embarquer » à tout moment.

Je viens d’un pays où le corps militaire effraye la population, ou la simple pensée de sa venue m’a trois fois de suite fait plier bagage et quitter la ville universitaire à l’annonce de grèves des étudiants parce que j’avais eu vent des passages à tabacs, des viols et des meurtres perpétrés par les membres de ce corps. Les grèves ont eu lieu, des morts ont été déplorés.

Je viens d’un pays où parler de politique autour d’une bière fait rigoler, mais en parler dans un contexte sérieux est vivement déconseillé par tous les proches. Ils essayent de préserver votre liberté et votre vie, et les leurs par la même occasion.

Après la stupeur causée par la liberté citoyenne au Sénégal, un intérêt réel est né. À Douala je n’ai jamais entendu parler de la possibilité que des jeunes changent la donne lors d’élections présidentielles, par la sensibilisation et la mobilisation des populations.

Je ne savais pas qu’il était possible en terre africaine de dire ouvertement non à une décision des pouvoirs publics. Je savais encore moins qu’il était possible de continuer à vivre paisiblement et à découvert après de tels actes.

Je me suis laissée emporter. J’ai voulu participer, jouir de cette nouvelle liberté et toutes ces possibilités qui s’offraient à moi. Vivre au contact de personnes qui dénoncent au quotidien et se font entendre m’a fait croire que je pouvais mêler leur réalité à la mienne. Les voir arpenter les rues de la ville malgré la véhémence de leur propos m’a fait perdre le sens du danger. Je me suis crue chez moi ici, alors j’y ai vécu comme ces sonneurs d’alarme.

Une année pratiquement, jour pour jour après avoir créé ma plateforme Elle Citoyenne et commencé à partager mes opinions, la réaction des pouvoirs publics de chez moi me rappelle à l’ordre.

Je n’ai pas le droit de parler aussi fort, je n’ai pas le droit de penser aussi durement, je n’ai pas le droit de condamner, d’alerter, je n’ai pas le droit d’éveiller les consciences. Je dois me taire ou je serai sanctionnée.

Mon rêve n’a duré que peu de temps. Une année précisément. Dire que je n’ai pas peur serait mentir. J’ai peur pour moi, et j’ai encore plus peur pour ceux qui, malgré le fait qu’ils n’ont pas quitté le triangle national, ne se taisent pas.

Depuis les vives réactions suite au déraillement du 21 octobre 2016 qui a fait des centaines de victimes, l’Etat camerounais lapide d’appellations étonnantes toute personne qui dénonce ses manquements sur une plateforme virtuelle (réseaux sociaux et blogs). Nous sommes traités de mercenaires, de criminels, de nouvelle portée de terroristes aussi dangereux que Boko Haram.

Nous aurions même, selon leurs dires, causé le déraillement. Les ministres s’attaquent à nous dans les médias et le président de l’Assemblée nationale a déclaré le 10 novembre 2016 que « les réseaux sociaux sont devenus aujourd’hui au Cameroun de véritables fléaux sociaux« .

Vivre ici m’a fait penser mon rêve possible. J’ai cru à une participation citoyenne dans la paix, et je l’ai vécue jusqu’à ce que je ne sois plus un électron libre. De nombreuses voix se sont mêlées et sont parvenues aux oreilles des décideurs qui ne trouvent rien d’autre à faire que de nous menacer de prison. Nous devons continuer de nous taire. Nous devons continuer de subir. Nous devons continuer d’accepter. Nous devons continuer d’espérer. Nous devons continuer de prier.

Je continue de prier, mais pas pour le changement malgré l’inertie. Je prie pour que cette vague de protestations n’échoue pas sur la rive de la peur, mais qu’elle fracasse les rochers de la répression annoncée. Je prie pour ne pas redevenir un électron libre. Je prie pour que l’action citoyenne observée depuis le 21 octobre n’accouche pas d’une souris.

Anne Marie Befoune

10 COMMENTAIRES

  • Même si ça parle du Cameroun, voilà un sujet passionnant que les dirigeants actuels au delà de nos frontières, doivent prendre en considération. J’irai plus loin, Internet ne servait qu’à lire puis à publier mais aujourd’hui nous entrons dans une nouvelle ère qui est l’ère de l’augmentation. Le citoyen a le pouvoir d’agir, et l’élite politique pour ne pas se déconnecter de la réalité sera obligée de mettre en place de nouvelles méthodes ou de nouveaux outils pour que les questions traitées sur les RS puissent être prises en considération. Il faut que les citoyens puissent dénoncer et manifester mais les acteurs politiques ou dirigeants doivent écouter s’ils ne sont intéressés que par les intérêts des populations.

    L’exemple du maire de séoul avec 11 millions d’habitants est passionnant, il a créé un compte twitter et derrière il met en place un comité pour traiter toutes ces questions qui viennent des citoyens. Le collaboratif, sert à dénoncer, à manifester mais la solution peut venir des citoyens, ils ont la solution sur plusieurs questions. La déconnexion de certaines élites est pitoyable. Mais nul ne pourra arrêter cela, les citoyens ont de nouvelles exigences et s’activent parfois de manière désintéressée pour que les choses bougent, et internet est l’arme!

    • Ere de l’augmentation, belle réalité en effet.

      Comme il n’est plus possible de manifester dans les rues, il est fort probable que la communication contradictoire se déplace vers internet et les réseaux sociaux, sur le territoire et/ou depuis l’étranger.

      Koudoul touki do kham fou deuk nekhé (qui part, découvre), c’est en cela que je résume la contribution de @befoune et le tien lorsque tu évoques l’expérience de Séoul. On se trouve dans une approche collaborative qui fait descendre l’élu de son piédestal, encore faut-il qu’on l’y contraint, qu’il y trouve de l’intérêt ou qu’il y consent.

    • « La déconnexion de certaines élites est pitoyable. » Dans mon pays aucun membre du gouvernement n’est sur internet. Ce qui se dit et ce qui se fait ne les intéresse pas. Dans le dossier « Biya Intime » paru dans Jeune Afrique il y a peu, il est clairement dit que le PR du Cameroun ne lit pas les journaux et écoute essentiellement RFI. Non seulement il ne prenne pas le poul des populations, mais ils ne s’informent même pas, et une fois que quelques voix se font entendre, il faut les faire taire. Ils ne savent pas ce qui se passe et nous n’avons pas le droit de leur dire. Ils sont tellement ignorants que des ministres d’Etat sont allés jusqu’à dire que c’est Whatsapp, Facebook et Twitter qui ont causé le déraillement parce qu’une rumeur a circulé quelques heures avant qu’il ne survienne.

  • Salam Wa Mbedmi. Ani leweul bi?

    J’ai partagé certains posts et tweets venant du Cameroun sur ce sujet. Je suis toujours sous le choc. J’ai vu quelque part des gens parler de « vampires virtuels qui sucent le sang » pour désigner les blogueurs camerounais.

    Je sais qu’au Sénégal, certains, s’ils avaient pu, nous auraient tordu le cou. Les menaces directes ou indirectes, on les voit, entend, sent… mais rappelle-toi de ce que je t’avais dit : s’ils vous attaquent, c’est qu’ils ont peur du bon boulot que vous faîtes. Continuez à être ce vent qui secoue les cocotiers.

    • On est encore sous le baobab non encore secoué Papa Ismaila. Tu connais notre technique de mbedards non : banc en place ok, fourneau sans keurign en place ok, barada sans warga en place ok mais le nana est déjà là donc l’espoir est permis.
      L’espoir est permis parce que nous sommes fondamentalement conscient que nous tenons quelque chose qui peut servir à bouger les lignes. Nous avons espoir que ceux qui nous lisent, cette majorité silencieuse, expresion en vague depuis qu’on a trumpé les USA, se fait une idée, une autre idée de la manière dont les choses devraient se faire, se dire, se corriger, se consommer.
      Comme toujours, un bon gars en conflit avec sa conscience passera nous dépanner pour que le leweul soit enfin dispo. #CotisePasNdathiePas

    • « Menace terroriste aussi terrible que Boko Haram ». Je me demande s’ils réflechissent avant de laisser imprimer ce type d’inepties Papa Ismaila !

  • Merci! Merci! Merci de continuer à parler. Merci d’être de ceux qui formeront la  »vague » qui va  »fracasser le rocher de la répression ». Cela va nous couter encore beaucoup de sang versé, mais nous y arriverons… Nous ferons du Cameroun une grande Nation!

    • Merci pour ces encouragements Théophile !

  • Je vous l’ai dit dans l’un des posts d’amis camerounais, s’il faille que nous soyons des lanceurs d’alerte mercenaires nous le serons. Nous serons les courroies de transmission, les relais, les lanceurs d’alertes et même les empêcheurs de dormir car l’Afrique doit se réveiller. Je t’encourage et je suis de tout cœur avec tout le peuple camerounais….
    #Allonsrek … good job

    • Merci Oumar. Nous avons tous vraiment besoin de ces encouragements.

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