9 septembre 2024

[140]. La « délinquance juridique » de l’administration confirmée

 [140]. La « délinquance juridique » de l’administration confirmée

wambedmi, oser la citoyenneté

J’ai pris connaissance du discours du Président de la République Macky Sall prononcé lors de la rentrée solennelle des cours et tribunaux. Cette cérémonie marquant le début de l’année judiciaire offre l’occasion de revenir sur un point saillant de la pratique juridique. Comme par le passé, elle est présidée par le chef de l’exécutif, par ailleurs, président du Conseil Supérieur de la Magistrature.

Notons qu’à même en passant que cette présidence est une violation du principe de la séparation des pouvoirs, encore préjudiciable au judiciaire. A ce jour, aucun juge n’a présidé la rentrée du gouvernement et le président ne le fait pas non plus pour le parlement. On le verra pas non plus parce que ces trois pouvoirs sont d’égale dignité, ils cohabitent mais ne sont pas hiérarchisés.

Cette ingérence est poussée à l’extrême par deux éléments qui ressortent de ce même discours du président de la république. Il indique de ce fait à l’entame qu’il est à l’origine du choix des thématiques de chaque rentrée solennelle des cours et tribunaux.

« En 2016, j’avais retenu comme sujet… » – « Cette année encore, en choisissant comme thème le contrôle juridictionnel de l’administration, j’ai voulu… »

Je suppose cependant que la Cour Suprême lui propose quand même un choix de thèmes à partir duquel il choisit. Cela ne change du reste pas grand chose puisque cette procédure place le pouvoir judiciaire dans une position de subordination. Et comme si cela ne suffisait pas, le président s’adressant à ceux qui rendent la justice, parle d’administration judiciaire.

Du reste, je ne peux m’empêcher de rappeler, dans cette quête d’une administration soumise au droit, le rôle de l’administration judiciaire qui par sa jurisprudence a contribué au renforcement de l’Etat de droit.

Ceux qui rendent au quotidien les décisions de justice sont des membres du pouvoir judiciaire. Même s’ils ne sont pas élus, ils rendent leurs décisions au nom du peuple, ce qui leur donnent autorité. Si c’est encore une légèreté comme on commence à y être habitué, il faudra corriger.

Une modernité sourcée dans une tradition dépassée

Dans son adresse à la Cour, le Président relève que l’ordre public basé sur la confiance ne peut s’établir durablement que dans le respect, par tous, de la loi. Et donc, « il nous fallait une administration moderne, respectueuse de la règle de droit […], des libertés fondamentales et des droits du citoyen ». Belle définition de l’état de droit avec ses différentes implications.

Le Président de la république a d’ailleurs rappelé que cette soumission se mesure aussi à leur application et particulièrement à l’exécution volontaire des décisions de justice devenues irrévocables. Nous avons pourtant vécu cette situation où le ministre de l’éducation et son gouvernement se sont mis en marge de la loi en écartant une décision judiciaire défavorable.

Cette pratique n’est ni conforme à un procès équitable (recevoir exécution de la décision rendue) et est contraire à la séparation des pouvoirs et à l’Etat de droit. Et donc « finalement, pour peu que l’Etat n’adhère pas à la décision du juge, il peut en toute impunité, se garder d’en assurer l’exécution. En admettant cette pratique, on permet à l’administration de se comporter en véritable délinquant impuni face au pouvoir judiciaire.

je n’occulte pas la loi n° 90-07 du 26 juin 1990 relative à l’organisation et au contrôle des entreprises du secteur parapublic. Le Président de la république l’a évoquée comme alternative au manque de volonté de l’administration. Ainsi, le justiciable « muni d’un titre exécutoire peut, après vaine mise en demeure, obtenir à la diligence du Ministre chargé des finances, l’inscription d’office de ses créances au titre des dépenses obligatoires. »

Toute une vie pour y arriver cependant.

Gouverner autrement le peuple

Le faible volume du contentieux en matière de recours pour excès de pouvoir a été évoqué par les différents intervenants. S’adressant au Premier président de la Cour suprême, le président de la république note que :

La faiblesse du contentieux objectif peut s’interpréter de plusieurs manières, parmi lesquelles on peut citer :
– l’ignorance par le justiciable de l’existence du recours ;
– le manque de moyens pour l’exercer, vu l’éloignement de la Cour suprême par rapport à sa résidence ou tout simplement, l’absence de ressources financières pour s’attacher les services d’un conseil ;
– la peur de représailles de l’autorité dont la décision est contestée ;
– l’observation par l’administration des prescriptions législatives et réglementaires et son bon comportement vis-à-vis du citoyen.

Je préfère croire à cette dernière interprétation, fruit de l’autocontrôle de l’Administration, respectueuse du peuple, n’étant pas ce monstre froid qui écrase et opprime le citoyen. Elle est composée de fonctionnaires bien formés qui administrent, avec rigueur et professionnalisme, tous les jours l’Etat.

Evidemment, celle-ci sera plus facile à prendre en charge que l’ignorance du justiciable ou sa peur des représailles. Pourtant, Sangoné Fall conseiller référendaire ayant introduit ce débat avait indiqué la marche à suivre.

Il faut promouvoir l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi afin de permettre aux populations, pour lesquelles l’administration a été instituée, de mieux connaitre leurs droits ainsi que les garanties qui leur sont offertes

La grande difficulté à laquelle la population est confrontée reste l’ignorance et l’abus des autorités fondé sur cette ignorance. L’éducation des citoyens devrait être une priorité dans un Etat comme le nôtre où les agents de l’administration sont fortement imbus de leurs prérogatives. Pourtant son discours semble plutôt conforter son administration en réduisant à sa portion congrue le gardien de nos libertés.

Alaaji Abdulaay

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