[95]. Facebook et vie privée, un couple impossible?
Les notions de Facebook et vie privée demeurent-elles impossibles à consacrer? Cette question est d’autant plus pertinente qu’il est peu envisageable d’être hors de ce réseau social. Il est dès lors primordial de s’interroger sur la collecte et l’utilisation de vos données. La protection de la vie privée n’a pas fait l’objet d’une définition exacte et les contours restent à dessiner. Cette brèche permet de prendre en compte les préoccupations liées à la protection de ces droits. Elles sont d’actualité au regard des avancées technologiques.
Avec l’avènement d’internet et des réseaux sociaux, nous faisons face à une surexposition médiatique. Ainsi, l’on est tenté de montrer notre réussite, nos moments de folie et nos errements. Certains parleront même d’une extériorisation de la vie privée dans laquelle chaque profil devient un média.
Est-il judicieux, dans ces conditions, de parler de vie privée dans un réseau qui a pour slogan de « rendre le monde plus ouvert et plus connecté ». L’usurpation d’identité ou la vente de données a atteint un niveau de récurrence jamais égalé. Cette situation est rendue possible parce que nous fournissons au web toutes sortes de données.
Celles que nous fournissons à Facebook sont transférées aux Etats-Unis et commercialisées. Les publicités ciblées en sont la preuve vivante. Le modèle économique de Facebook repose sur votre contenu basé sur un contrat d’adhésion avec des termes généralement non négociables.
Malgré cette exposition « consentie » qui légitime leur traitement, il faut noter que la question de la vie privée ne cesse d’intéresser les usagers du cyberespace. Le Sénégal s’est d’ailleurs doté d’une loi sur la société de l’information 2008-10 du 25 janvier. N’empêche, la loi des parties demeure un facteur bloquant dans l’effectivité des garanties acquises avec celle-ci.
La souplesse de l’outil, le gain de temps, la possibilité d’avoir un œil sur l’actualité ou de garder le contact avec les amis ont fini par légitimer le traitement de nos données. Encore une preuve vivante de l’adage selon lequel « quand c’est gratuit, c’est parce que vous êtes le produit.
Je publie, donc je suis
La question qu’il faut se poser est la finalité et la destination de ces données personnelles? Dans le point 4 de sa déclaration des droits et responsabilités, Facebook note que le contenu et les informations publiés sous le paramètre « Public » donnent permission « à tout le monde. Cette permission donne droit aux personnes hors réseau social, d’accéder à ces informations, de les utiliser et de les associer à vous.
Au point 5, l’on nous signale que Facebook utilise ces données sans obligation de rémunération dans la mesure où nous ne sommes pas obligés de les fournir. A nous de faire preuve de responsabilité. Nous pouvons décider d’avoir le contrôle sur nos données à l’aide du curseur de la confidentialité. Idem pour le choix des applications intégrant des normes de respect de la vie privée.
Nous donnons au réseau social la possibilité d’utiliser nos données dans le cadre d’un contenu commercial, sponsorisé ou associé. Ils pourront les diffuser ou l’améliorer même s’ils indiquent ne pas les transmettre aux annonceurs sans notre accord. Cependant, ils ne peuvent ou ne font rien pour empêcher l’enregistrement de nos données par autrui.
Quand un ami publie notre photo, Facebook lui donne la possibilité de nous identifier et même de décrire ce que nous faisions. Des comptes « Fake » sont également crées spécialement pour nous espionner. En tous les cas, Facebook n’a pas le contrôle sur les données. La capture d’écran et le téléchargement sont bien connus des usagers.
Nos échanges sont tracés par des algorithmes. Ces derniers, à l’aide de plusieurs critères (mots clés, volume de messages, émoticônes) essayent de déterminer notre profil d’utilisateur. Ne prenons donc pas à la légère le résultat de certaines applications.
Droit de propriété sur les données
Ce n’est pas parce qu’on n’est pas présent sur le réseau que nous passons inaperçus. Pour nous suivre, la société se sert d’un cookie nommé « datr ». Celui-ci nous suit une fois que nous surfons sur une page du site ou sur des sites tiers contenant un module Facebook. Il collecte l’information via notre adresse IP et nos mobiles (systèmes d’exploitation, coordonnées, GPS).
Malgré l’ambiguïté des conditions générales d’utilisation, ce réseau n’a qu’un droit d’utilisation sur nos données. Tout ce que nous y postons est censé nous appartenir. Celui qui les copie est potentiellement en situation illégale si l’œuvre est protégée. Il y’a certes le droits de citation mais celui-ci reste encadré.
Un site tiers qui génère du trafic et affiche des publicités grâce à notre contenu, ne peut reprendre impunément notre contenu sans notre accord préalable et avec citation le cas échéant. Pour établir la faute, on peut invoquer le non-respect du droit de communication au public et de reproduction. C’est un droit exclusif reconnu à l’auteur selon l’article 33 de la loi 2008-09.
Selon le paramétrage de notre profil, nous donnons libre accès à n’importe qui d’utiliser notre contenu et d’y associer notre nom (point 4 du Déclaration des droits et responsabilités). Par contre la loi sénégalaise de 2008 sur le droit d’auteur en a décidé autrement s’agissant de notre contenu originale donc protégeable.
On peut demander simplement au prestataire de retirer le contenu ou d’en rendre l’accès immédiatement impossible pour faire cesser le préjudice. C’est l’avis que la Commission des données personnelles a donné récemment au Comité nationale de régulation de l’audiovisuel. Ce dernier l’avait saisie suite à une plainte relative à l’utilisation et à la diffusion de l’image d’une personne par une télévision, à des fins artistiques.
Echelle de responsabilités
En cas de refus ils seraient responsables et nous avons alors un motif de faire valoir nos droits. C’est le cas si c’est en rapport avec nos données personnelles, sur la base de l’article 69 de la loi 2008-12.
Dans l’affaire Stés Bac Films et the Factory c/ Société Google, la chambre civile (France, 2012) a établit la culpabilité de Google pour contrefaçon. Ce dernier avait permis l’accessibilité au public du film documentaire « L’affaire Clearstream ». Nos tribunaux seraient confortés par l’article 31 de la loi 2008-09 si toutefois ils suivaient cette voie. Nous détenons l’unique pouvoir de divulguer notre œuvre.
Un contenu peut être susceptible de nous offenser, de porter atteinte à notre considération ou à l’intimité de notre vie privée. La demande de suppression du contenu au niveau national est déjà admise. Les dispositions légales demeurent la meilleure solution pour assurer un droit à l’oubli concernant pareil contenu.
La convention 108 du Conseil de l’Europe ratifié par le Sénégal, demeure l’instrument juridique en matière de protection des données personnelles. Par ailleurs, Google nous offre la possibilité de signaler ou demander la suppression de contenus illicites ou portant atteinte à notre vie privée.
Droit à l’oubli
Google n’est pas à l’origine de l’article qui nous offense, il le référence en le mettant en avant. Nous pouvons demander cependant à ce que nos données personnelles n’apparaissent plus dans les résultats de moteurs de recherche. C’est le cas lorsqu’elles sont erronées ou ne sont plus pertinentes.
Bien que le terme « droit à l’oubli » ne figure pas dans nos textes, on peut recourir à la loi de 2008. Celle-ci donne à tout sénégalais le droit de faire retirer d’un site un contenu le dénigrant ou bafouant sa dignité. Mieux, nous avons le droit au déréférencement qui n’entraîne jamais la suppression de l’information ou de la page web en question.
N’ayant pas une obligation générale de surveillance, l’article 9 du décret n°2008-719 du 30 juin pose des obligations. Il oblige le prestataire à agir promptement pour retirer ces contenus ou en rendre l’accès impossible. En plus, il doit nous ouvrir la voie afin que nous portions à sa connaissance tout contenu en ligne manifestement illicite. C’est ainsi que nous pourrons mettre en œuvre notre droit à l’oubli au plan national.
Par contre, on peut nous opposer le droit à l’information du public notamment lorsque la personne concernée est une personnalité publique. Le juge appréciera la requête en tenant compte des exigences liées au droit à l’information et la vie privée. La peine encourue est comprise entre 1-7 ans d’emprisonnement et/ou une amende de 500 mille à 1 million.
Après avoir introduit notre requête via le formulaire de Google, il est recommandé de contacter une structure compétente ou un avocat. Ils sont mieux outillés pour défendre nos intérêts surtout quand il s’agit du premier des géants du GAFA.