[176]. Sénégal Vote, un curseur sur le fil
Un groupe de mots, SENEGAL VOTE. Surgit de nulle part, l’initiative est devenue entre 2019 et 2022 un acteur majeur dans le jeu électoral sénégalais.
Classée dans la catégorie des civic tech, SENEGAL VOTE allie une mobilisation en ligne et une présence physique, ce qui explique l’appropriation du hashtag par les internautes d’ici et d’ailleurs. Plateforme en ligne avant tout, Sénégal Vote se présente comme un outil collaboratif à différentes fonctionnalités, toutes tournées vers l’information citoyenne.
Je voudrais, par ce billet, partager des moments intenses vécus, en seconde partie de l’histoire puisque la première a été déjà racontée là.
Ce 24 février 2019 s’est tenu la première élection dans laquelle j’ai été « acteur ». Non pas que j’ai sollicité des suffrages ou supporté un candidat dans ce jeu qui nous semblait étranger. Tout est finalement parti, je pense, du fait que la presse a cafouillé un peu au début. Elle ne parvenait pas, aux yeux de l’opinion, à communiquer de « résultats neutres ».
Et donc, comme un spectateur poussé à son insu sur une scène, SENEGAL VOTE donnait des « résultats conformes ». Bonjour la galère 🙁
Galérer est un verbe intransitif qui signifie être dans une situation pénible. Il peut aussi vouloir dire vivre des travaux épisodiques et peu rémunérateurs. Je crois, sans trop exagérer que notre groupe a vécu un peu de tout cela. Ce scrutin était notre première expérience « en tant qu’acteur direct ». Sénégal Vote a vu le jour parce que chacun des cinq avait peu ou prou une expérience d’engagement.
Nous avions l’opportunité de faire plus et mieux, initiative que Osiwa a soutenu financièrement. Seulement voilà, en portefeuille d’expériences, aucun de nous n’avait si profondément trempé dans la chose électorale. Il fallait vite apprendre, ensemble et rapidement parce qu’on semblait en savoir beaucoup et trop peu à la fois. Tout semblait être calibré, codé de bout en bout mais comme ils disent, l’homme propose…
C’est parti de rien, parce que depuis 2000, et peut être avant, les médias nous avaient habitué à donner les résultats. Ce mécanisme a permis dès la soirée électorale, à un candidat d’appeler son challenger pour le féliciter. Il n’y avait donc pas d’os à ronger, comparé à d’autres éléments du processus électoral. L’objectif de l’initiative citoyenne Sénégal Vote était de sensibiliser les citoyens pour une participation massive et de qualité au processus électoral.
Il fallait contribuer à positionner la chose électorale comme un élément important dans la gouvernance de notre pays. Nous devions, pour se faire, insister fortement sur le processus de choix, leur impact sur notre quotidien et la nécessité d’y prendre part. Il y’avait donc une masse considérable d’informations à vulgariser, en ligne et par un contact direct et physique avec les citoyens.
Et sur ce coup-là les gars ont assuré. Je n’étais pas le plus assidu 🙂 et puis il fallait bien quelqu’un pour jouer au gardien de l’étable :). Finalement, Prési était utile à quelque chose 🙂
Les « intrus » d’une scène rondement calibrée
- Bonjour Monsieur, comment vous allez. Est-ce que vous avez deux, trois minutes pour échanger au téléphone ?
- Très bien et vous ? Oui allons-y !
- C’est Abdoulaye de la plateforme SENEGAL VOTE
- SENEGAL quoi ?
- SENEGAL VOTE. C’est une plateforme que nous avons mise en ligne pour informer les citoyens sur le processus électoral. Elle comporte trois fonctionnalités dont le guide de l’électeur (j’explique), la carte électorale (j’explique) et les programmes des candidats. D’ailleurs, je vous appelle pour ce dernier point.
- Ah Ok, c’est très bien. Bon, je vous donne mon email et le numéro de celui qui gère la communication. Vous verrez avec lui comment vous faire parvenir notre programme.
Plusieurs rappels, email et relances. Recherche d’un autre contact dans la coalition, pour appuyer la demande. SMS (gentil) de rappel de notre conversation. Lettre officielle, scannée et renvoyée. Messages via Twitter et Facebook. Et hop, le document arrive, toujours différent de ce à quoi on s’attendait. Reste maintenant à se prépare psychologiquement, à lire, relire, tenter de comprendre, rechercher des mots clés, des thématiques communes aux programmes.
Faut-il faire la synthèse ou reprendre mot pour mot ? Si vous avez utilisé notre comparateur des programmes, vous avez un début de réponse.
Lorsqu’on est juriste de formation et électeur, l’on s’attend à ce que vous sachiez un tout petit peu du code électoral. Je découvrais pour ma part ce texte de loi, si détaillée dans la description des processus et le rôle dévolue aux acteurs. Même si le langage est largement à portée de tout citoyen électeur, la loi embarque avec elle ses subtilités de langage et ses non-dits. Les silences font le charme des textes de loi.
J’ai pu percevoir le pouvoir énorme détenu par l’électeur, par les électeurs. On avait la décision, la signature, l’imperium. Et parce que j’ai analysé aussi bien les programmes des candidats que la loi électorale, mon regard a changé. J’étais également électeur – acteur, dans un environnement qui pouvait, en un laps de temps, nous être hostile. Nous voilà dans un jeu d’équilibriste, sous les projecteurs, sans forcément l’avoir cherché.
Des individualités qui se sont enrichies de leur diversité
La réputation est l’opinion du public envers une personne, un groupe ou une organisation. Individuellement, chacun d’eux l’était dans son domaine d’intervention. Jaly, Alex, Cassis et Georges sont des stars dans l’univers numérique. J’étais le seul anonyme du groupe, en plus d’être corporate, wayé si tu veux devenir célèbre, côtoie des célébrités :). Leur bonne réputation a largement permis de booster l’initiative, notamment au niveau du premier cercle. Pour les autres sphères, il y’a eu les bénévoles et les médias. J’y arriverais Inchallah.
Je dois vous avouer ici que le fait de délivrer des résultats n’était pas dans notre agenda, jusqu’à ce que cela fut entamé, d’un commun accord. Je ne suis pas sûr de bien connaitre le point de rupture, le moment où cela a basculé. Qu’est ce qui a changé ? A cet instant précis, vous attendez une réponse mais réglons d’abord un détail. Pas d’impatience, ce point est lié à la réponse et vous comprendrez mieux.
Nous avons fait, tout au long du processus, le choix d’une collaboration horizontale et non verticale. C’était une chance d’ailleurs qu’on ait pu penser ainsi parce que les activistes mom, ils restent ce qu’ils sont :). La répartition du labeur (le qualificatif sied aujourd’hui) par tâches et l’esprit de dépassement ont facilité beaucoup de choses. Et donc, c’est de commun accord que la décision a été prise de rester logique et de finir le processus.
J’ai vécu peu de stress similaire à ce que j’ai enduré ce lundi-là, lendemain du scrutin, surtout que je ne comprenais pas. La chaîne de télévision privée 2STV dans ses éditions spéciales, affichait à l’écran les visuels de Sénégal Vote et appelait en direct ses correspondants… pour confronter. Heureusement que les chiffres coïncidaient, sauf que j’ignore encore ce qu’ils recherchaient en procédant ainsi.
Une réputation sur le fil
Une erreur, si minime soit-elle, du correspondant ou de Sénégal Vote pouvait entraîner des répercussions que je n’ai pas voulu imaginer. C’est le même reproche que je faisais à Seneweb qui convertissait « nos chiffres » entiers en diagramme avant de nous les imputer. Je le relève parce qu’ils avaient pointé, avec indication de provenance, vers notre plateforme. « Mais pourquoi SENEGAL VOTE masque ses résultats ? » Combines et arnaques largement sous-entendues, sauf qu’ils n’étaient publiés que sur les réseaux sociaux. Ça t’use ces choses !
Nous avions certes pris les précautions nécessaires, autant qu’on a pu, pour communiquer de « bons résultats ». Dans notre entendement, les résultats étaient des données publiques que nous relayions. Relais, transmission, rek. Elles n’appartenaient donc pas à SENEGAL VOTE et nous n’en revendiquions pas la paternité. Il fallait cependant quelqu’un sur qui faire reposer la responsabilité des « résultats publiés par Sénégal Vote » 🙂 Rien que çà 🙁
J’ai pu saisir toute la charge émotionnelle accolée à la publication des résultats, l’étape la plus « sensible » du processus. Il suffit de peu, en ces occasions, pour que les choses partent en vrille. Avec le recul, je pense fondamentalement que deux choses nous ont sauvé. La première est sans nul doute la confiance mutuelle que nous avions l’un de l’autre. Il fallait ensuite assumer, quoi qu’il en soit, notre responsabilité.
Ce n’était pas dit ni écrit quelque part. Chacun avait compris et disposé à jouer le rôle qui était le sien, prêts à endosser. C’est ce qui a nourrit notre action jusqu’à la finale. Je voudrais ici leur exprimer tout mon respect.
Internet !!!
Je dois avouer que vers la fin du processus, les coups de projecteur se sont braqués sur SENEGAL VOTE avec les résultats, Seneweb et la 2STV. Beaucoup ont découvert ce que nous faisons depuis plusieurs mois déjà sur ce processus électoral. Et comme de coutume, là où est la lumière, l’ombre n’est pas très loin et elle se manifeste à l’occasion. Je dis il y’a quelques heures sur Twitter, avoir appris en une semaine, plus de choses qu’en cinq ans.
Il est connu que les expériences diffèrent selon qu’on est acteur ou spectateur et cette réalité trouve sa pleine expression sur les réseaux sociaux. Cet espace reste une arène où « gloire » et « déchéance » se côtoient et se relaient, dans une clameur appelée aujourd’hui fake news. J’ai quand même vu des personnes avancer, avec force conviction, des choses sur lesquelles elles n’avaient aucune maîtrise.
A un moment, j’ai pensé comprendre, je dis bien pensé comprendre la réaction des autorités vis-à-vis de cet espace. Je ne partage pas leurs points de vue parce qu’Internet doit rester ce qu’elle est, un espace de liberté. Aujourd’hui, plus que jamais, nous avons l’opportunité de nous faire entendre, sans filtre et il faut que ces voix restent audibles. Ils y sont, nous y sommes, faudra bien qu’ils consentent à écouter ce que nous avons à dire.
Aujourd’hui et plus que jamais, les citoyens doivent accorder de l’importance à l’information, aux données ouvertes et à la participation. C’est pourquoi, il nous faut en mon sens, nous impliquer tous dans sa gestion, son animation pour en décupler la portée. Pour un projet de cet envergure, SENEGAL VOTE a été grandement managé via les réseaux sociaux. C’est un outil qu’il nous faut davantage découvrir et vite, il est utile et à portée.