[112]. Le « trauma » Yavuz Selim, fruit de notre indifférence ?
La fermeture des écoles Yavuz Selim ou le changement de gestion continue de faire des vagues. Cette situation n’impacte pas seulement sur notre droit à l’éducation, bien que celle-ci soit prégnante. Elle interpelle notre capacité à instaurer un système d’enseignement de qualité, jusque là entre des « mains étrangères ». Le mutisme de nos autorités sur cette question renseigne sur la gêne occasionnée par Erdogan.
Lorsque nous suivions cette nuit mouvementée en Turquie, peut d’entre nous s’imaginais des conséquences sur nos enfants. Erdogan a été sauvé par sa population qu’il continue d’ailleurs de réprimer sans retenue. C’est cette chasse aux sorcières qui nous vaut ce que nous vivons aujourd’hui, un traumatisme éducatif. En cause, Gülen donc Yavuz Selim et finalement nos enfants.
Je ne m’attarderais pas trop sur l’historique de l’implantation des écoles Yavuz Selim. Des contributions dans la presse sont largement revenues sur ce point précis. Les sorties des parents d’élèves dans les différents établissements concernés ont été assez informatives sur le risque de perturbation.
La vérité est que les établissements Yavuz Selim figurent parmi les plus performants de notre système éducatif. L’excellence dont fait l’objet ce Groupe est pourtant le fait d’un personnel enseignant sénégalais. Et d’ailleurs, la « sénégalisation » va au delà du programme scolaire parce que 389 des 450 employés du groupe sont des nationaux. C’est pourquoi d’ailleurs, le silence de nos autorités nous a abasourdi.
Interpellé, donc questionné, le ministre de l’éducation nationale Serigne Mbaye Thiam s’est exprimé en ces termes :
«L’Etat était en train d’étudier la meilleure solution pour sauvegarder les intérêts des élèves et des parents d’élèves et du droit à l’éducation»
Celle-ci fut communiquée plus tard. Il n’a pas été décidé de la fermeture des écoles Yavuz Selim mais d’un transfert de gestion. Ces écoles qui résultaient d’une initiative privée (association de droit sénégalais) viennent d’être cédées à un Etat étranger. Certainement que la procédure judiciaire enclenchée contre cette décision, si elle est confirmée, apportera la lumière sur la légalité de cet acte.
Les effets de ce transfert sur la qualité de l’enseignement ne sont pas encore connus. On pourra épiloguer là-dessus mais on ne pourra en dire davantage pour le moment. Et c’est ce doute qui nous ronge. C’est en cela aussi que se mesure la gravité de cette scène qui se joue sous nos yeux. On ne sait pas quoi, mais on sent qu’une chose est en train de nous échapper, de nous filer entre les doigts.
L’éducation de nos enfants sous-traitée
Au détour d’une conversation, un de mes interlocuteurs me lançait une vérité glaciale: « Si l’école publique sénégalaise était de qualité, on n’aurait pas perdu le sommeil avec la fermeture des écoles Yavuz Selim ». Je perçois un peu d’excès dans ce propos puisqu’une décision de cette nature impacte forcément sur nos jeunes frères et sœurs. Ce nous glace par contre, c’est de constater notre incapacité à avoir assez de « Yavuz Selim »
Pourtant dé, la chose se résume en peu. Dans ces établissements privés, c’est le programme sénégalais, en cours dans les écoles publiques, qui y est enseigné. Ce sont également nos enfants qui y sont inscrits et des sénégalais qui y enseignent, notre capacité n’est donc pas en cause. Finalement, c’est juste un problème de management. Une opération simple: performance = engagement des parents + reddition des comptes de l’établissement.
Dans un billet intitulé Vous n’avez pas le droit…, la blogueuse Zeyna Njaay analysait largement la situation de conflit entre le gouvernement et les enseignants. Elle concluait en ces termes :
« Nous sommes tous responsables, mais VOUS (le Gouvernement) êtes coupable puisque vous êtes le Garant du système. Cette crise gangrène notre système depuis plus d’une décennie. N’est-il pas temps de reformer, sinon refonder notre système éducatif, ensemble ? »
Je ne reviendrais donc pas sur cette affaire que nous avons vécu, le cœur meurtri. A un moment, nous avons eu le sentiment de suivre un spectacle de gros gaillards qui jouaient à se faire peur. Le résultat de ce duo est connu : échec en masse, baisse du niveau et des victimes sans assistance. C’est par conséquent dans l’ordre normale des choses que des parents cherchent du mieux pour leurs enfants, ailleurs.
On ne peut reprocher à notre ministre de l’éducation nationale de faire inscrire son enfant dans un établissement privé. Nous avons tous le devoir d’assurer à nos enfants, frère et sœur, le meilleur pour les aider à mieux « compétir » avec leurs camarades d’ailleurs. L’erreur, c’est de penser être à l’abri parce qu’on a emprunté une voie parallèle, apparemment plus sûre ou du moins peu cahoteuse. Cette erreur semble se perpétuer.
Devoir d’introspection
Je reviens donc à la responsabilité énoncée par Zeyna Njaay plus haut. La grande masse des sénégalais n’a pas d’autre choix que de croire en l’école publique et d’y envoyer ses enfants. Nous n’avons pas le choix, lolou mofi nek, dougal léne fofou wala bayiléne niouy takhawalou. Par contre, nous serons appelés à rendre compte des efforts entrepris (ou non) pour que notre système éducatif soit normal, à défaut d’être performant.
L’inquiétude qui se lit aujourd’hui sur les visages des parents d’élèves suite à la décision de fermeture des écoles Yavuz Selim, nous l’avons arborée. Nous l’arborons d’octobre à juillet, chaque année. Le pire est que ceux et celles qui envoient leurs enfants dans les établissements privés cotisent doublement. Ils paient pour le public et dans le privé, qu’ils en aient conscience ou non.
L’école publique est financée par les impôts, taxes et cotisations de toutes sortes collectés au quotidien. Certains n’ont peut être pas eu le choix en se détournant de l’école publique mais la grande masse y est. Ce que nous avons en commun, c’est notre responsabilité partagée, notre commune passivité face au déclin continuel de la qualité de notre système éducatif.
La fermeture des écoles Yavuz Selim, le transfert de gestion ou whatever le nom que l’on veut donner à cette affaire devrait en soi nous pousser à regarder ce que nous ne voulons voir. Nous fermons les yeux sur la déliquescence de ce que nous avons de plus cher à offrir à notre nation. Nous abandonnons nos enfants à des gens qui, apparemment, n’ont pas la pleine conscience du poids de la responsabilité.
Cette voie empruntée par notre système éducatif est sans issu. Certains choisiront une autre parallèle, d’autres feront marche arrière ou feront comme si de rien n’était. Tout comme chacun peut se sentir concerné par ce que nous avons de commun et oeuvrer à hisser cet école sénégalaise à la dignité de notre Nation. C’est avant et après tout une question de choix.
1 Commentaire
bravo excellent article.