[211]. Quand les sénégalaises performent dans les sciences
![[211]. Quand les sénégalaises performent dans les sciences](https://www.divancitoyen.com/wp-content/uploads/2020/09/stem-1-850x560.png)
Elle est à l’initiative de la version sénégalaise du hashtag #WomenInStemInspire qui nous dévoile chaque jour des profils de scientifiques sénégalaises qui excellent dans la science. Après un baccalauréat ès sciences biomédicales puis un Master of Science en Biochimie, elle candidate au doctorat en virologie et immunologie. Aujourd’hui à Montréal, Aicha travaille sur les virus Zika et Dengue.
C’est donc entre laboratoire et maison qu’elle a répondu à nos questions
Qu’est-ce que #WomenInSTEMInspire et pourquoi?
Je vous remercie encore pour cette opportunité. STEM est un acronyme anglais qui signifie Science, Technology, Engineering and Mathematics. Une traduction de #WomenInSTEMInspire donnerait donc les femmes en science, technologie, ingénierie ou mathématiques, et qui sont, surtout, source de motivation.
Le hashtag #WomenInSTEM est assez utilisé sur Twitter par et pour les femmes qui étudient ou travaillent dans ces domaines. Je m’en suis inspirée pour rajouter « Inspire », car le but était d’inspirer. J’ai vu par la suite que #WomenInSTEMInspire avait été utilisé dans le passé et les derniers tweets répertoriés dataient de 2016. Je ne pouvais cependant trouver mieux, donc j’ai continué avec. L’initiative vient d’une expérience personnelle.
J’ai grandi au Sénégal où j’ai fait mes études jusqu’en classe de Première avant de poursuivre en Terminale au Canada. Même si les pays sont très différents, le constat est le même : l’orientation y est très simplifiée. Lorsque vous avez un bon niveau en sciences en classe de Troisième ou Seconde (selon le programme), le système éducatif vous pousse vers une série scientifique.
Lorsque vous êtes chanceux, votre école organise des « journées carrières » à l’occasion desquelles peu de femmes sont d’ailleurs invitées. Des femmes des STEM, encore moins! Je ne pense pas en avoir rencontrées ne serait-ce qu’une durant mes années au lycée ou au collège.
C’est comme ça que je me suis retrouvée avec un baccalauréat scientifique, sans savoir quoi faire, ni où aller, car je manquais de modèle. Même si j’étais attirée par tout ce qui a un lien avec la santé, je ne voulais pas aller en médecine, ni en pharmacie. Dans ma tête, il s’agissait des seuls programmes en lien avec la santé. Et pourtant…
Sans grande conviction, j’entame donc un programme universitaire que je finis par abandonner avant de prendre des mois sabbatiques et reporter des cours. Je me cherchais. Je suis convaincue que rencontrer des femmes en STEM m’aurait inspirée en plus de me motiver. J’ai donc pensé à partager ce que je n’ai pas eu la chance d’avoir : une vision, une immersion et une présentation de l’univers STEM. Un matin, j’ai lancé l’appel sur Twitter.
Comment appréciez-vous l’accueil réservé au hashtag #WomenInStemInspire?
Surprise, agréablement surprise, je ne m’y attendais pas du tout. Suite à cet appel lancé le 7 juillet 2020, elles ont été exactement 11 à embarquer de suite. Je voulais couvrir le maximum de domaines en STEM donc j’ai relancé un appel. À la veille de cet ‘event’, nous étions 19 femmes originaires ou vivant au Sénégal.
Je me disais que ça allait faire le tour, mais sans plus. L’impact serait limité. J’avais tort. Il y eu un effet boule de neige. Davantage de femmes africaines nous ont rejoint. Les félicitations fusaient de partout. 3 jours après le lancement, des #WomenInSTEM partagent encore leur parcours. Il n’y a eu aucun tweet négatif, ce qui est extrêmement rare ci mbedum twitter. Haha.
Qui cherchez-vous à inspirer et surtout qu’attendez-vous de votre cible?
Je cherche à inspirer les femmes, principalement celles de la 4ème secondaire du collège jusqu’à la Licence universitaire. Le but est que toute femme choisisse sa filière par envie, et non par défaut; qu’elle sache qu’il y a une multitude de domaines d’étude et donc de possibilités de carrière qui s’offrent à elle.
Je me dis qu’en montrant ces parcours de brillantes femmes qui partagent notre culture, les STEM seraient démystifiés. En effet, il n’y a pas de domaine qui nous est interdit. Il n’y a pas d’études trop longues, trop compliquées, ou trop grandes « pour une femme ». Il suffit juste d’être bien renseignée, motivée et encadrée. Pour preuve, il suffit de parcourir le hashtag pour voir que les sénégalaises excellent dans les STEM
J’ai reçu de nombreux messages de femmes qui pensaient abandonner mais qui, suite à ce hashtag, poursuivront leurs études en STEM. Ou encore certaines, qui comme moi, ne savaient pas où aller. Ce #WomenInSTEMInspire leur sert de « catalogue ».
Libérons-nous de cette cage bâtie principalement sur des normes sociétales! Développons notre plein potentiel! Maintenant, il faut voir comment en inspirer plus, lorsqu’on sait que la majorité de notre cible n’est pas sur Twitter.
Comment comptez-vous rallumer cette flamme hors du réseau social Twitter?
Haha 🙂 THE question! Avant, permettez-moi d’apporter une petite correction : je dirais plutôt « allumer cette flamme hors du réseau social ».
Selon le rapport de 2015 de l’institut de statistique de l’UNESCO, en 2010, les femmes représentaient 13% des chercheurs en ingénierie et technologies au Sénégal. En sciences naturelles et en agronomie, elles représentaient respectivement 16.7% et 24.4%.
C’est ainsi que Sophia Huyer, directrice exécutive du WISAT (Women in Global Science and Technology) déclarait que malgré quelques améliorations au fil des années, « le plafond de verre demeurait intact. (…) Plus on s’élève dans la hiérarchie du système de recherche scientifique, plus la part des femmes diminue ; elles sont finalement très peu nombreuses à parvenir à se hisser jusqu’aux plus hauts niveaux de la sphère scientifique et décisionnelle. »
Pour revenir à votre question, Je dois avouer qu’en lançant cette initiative en juillet 2020, je pensais me limiter à Twitter. En plus de l’excellent accueil, j’ai reçu beaucoup de suggestions et de demandes de suite. Je ne peux plus m’arrêter à mi-parcours. Je me dois de continuer. Et entre nous, j’ai dormi 3h30 la nuit du mardi (jour de l’’event’).
« Comment procéder? » « Que faire maintenant? » « Quelle suite donner? », tant de questions.. Même si l’initiative vient de moi, ça n’aurait pas été possible sans les filles. J’ai donc invité celles qui aimeraient poursuivre. Actuellement nous discutons de la suite.
Nous avions pensé à des rencontres, mais malheureusement, nous ne sommes pas toutes au Sénégal et ce n’est pas la bonne période pour des rencontres, COVID-19 oblige. Un site/blog interactif? Avec de courtes vidéos à diffuser, une possibilité de mentorat, des rencontres sur Zoom? Nous y travaillons, fort!
Après il faudra voir comment en faire la promotion. On verra… c’est encore au stade embryonnaire. J’invite toutes les femmes à ce brain-storming : je suis tout ouïe.
Comment les STEM peuvent-ils se développer et développer un pays comme le Sénégal ?
Ce sont de bonnes politiques qui développent et permettent d’offrir un environnement propice aux STEM. Il faut aussi des bras… et de la matière grise! « Démocratisons » ces filières! Les femmes constituaient 50.23% de la population sénégalaise en 2019 et pourtant elles sont si peu représentées dans les STEM.
Nous avons une vraie mine d’or très peu exploitée. Nous avons besoin d’elles dans les STEM car de nombreux défis s’en viennent. Prenons la recherche en science, filière dans laquelle j’évolue. Avec la pandémie COVID-19, nous avons vu à quel point la recherche scientifique est primordiale. Pourtant, elle faisait partie des secteurs dont le budget alloué diminuait d’année en année.
Cette pandémie a servi de rappel. Des gouvernements débloquent (ou promettent de débloquer) plus de fonds pour la recherche. Avec le réchauffement climatique, la mondialisation, la fragilisation des écosystèmes, la déforestation, nous ne sommes pas à l’abri de nouvelles épidémies.
Ces épidémies se rajouteraient à une liste déjà longue de maladies infectieuses, qui, je le rappelle, constituent l’une des principales causes de décès dans les pays en développement. En développant les STEM, nous serons dans de meilleures conditions pour assurer la santé de tous et par conséquent, contribuer au développement. Nous aurons besoin de chercheuses et chercheurs, de statisticiennes et statisticiens, de gestionnaires de l’environnement, d’agentes et d’agents de santé publique.. bref de STEM.
Un dernier exemple: les inondations. Comme plusieurs pays d’Afrique, le Sénégal subit les conséquences du changement climatique. Les épisodes de sécheresse et d’inondation se succèdent. Des régions, comme le nord du Sénégal, sont touchées par une crise alimentaire. Selon les prévisions, le dérèglement climatique se poursuivra. Il faut anticiper, s’adapter et innover.
Les STEM jouent un rôle clé dans les domaines comme la santé, le changement climatique, la sécurité alimentaire, l’énergie, la transformation numérique… Nous avons tout à y gagner en investissant mais aussi en donnant aux femmes l’opportunité, les outils et la confiance pour poursuivre dans la science, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques.
Lorsqu’on parle de stem, on ne peut passer sous silence l’investissement humain et financier. Comment y faire face ?
Je confirme. Comme je l’évoquais dans un de mes tweets, l’investissement humain est un des principaux défis. En tant que candidate au doctorat en virologie, je ne contrôle pas mon horaire. Je sais à quelle heure je commence ma journée mais je ne sais pas à quelle heure je rentrerai chez moi.
Pour vous donner un exemple. Nous sommes aujourd’hui samedi 5 septembre. Il est 18:17 et je suis au labo. La science demande certains sacrifices et je l’ai appris à mes dépens. Du coup, les week-ends sont écourtés, des sorties sont annulées et les nuits deviennent courtes mais « Things we do for love ».
Si c’était à refaire? Je choisirais ce même cursus des milliers de fois. « La vie est ténèbres, si elle n’est pas animée par un élan. Et tout élan est aveugle, s’il n’est pas guidé par le savoir. Et tout savoir est vain, s’il n’est pas accompagné de labeur. Et tout labeur est futile, s’il n’est pas accompli avec amour (…).», Khalil Gibran. Cet extrait de poème illustre parfaitement mon état d’esprit.
Les STEM requièrent de l’investissement humain et ce n’est pas toujours évident, surtout lorsqu’on est une femme sénégalaise. Avec de l’organisation, on peut amortir l’investissement humain. Par contre, je ne pense pas que ça soit possible de le contourner, d’où l’importance d’être motivée, bien entourée et soutenue. L’entourage joue un énorme rôle.
Concernant les finances, ne nous voilons pas la face : nous ne pouvons pas développer les STEM chez nous sans y mettre les moyens. En tant que société, investissons dans l’enseignement de qualité et la pratique. Aussi, pour inciter plus de personnes à choisir les STEM, il faut leur montrer ce que c’est.
Idéalement, il faudrait insérer des heures de travaux pratiques dans les programmes scolaires ou organiser des stages d’immersion. Je me considère très chanceuse car j’ai eu des heures de travaux pratiques au lycée. Pourtant, j’en connais qui ont fait une série scientifique et qui n’ont jamais vu ne serait-ce que de la verrerie de laboratoire (cf blog Fantafall)
Pour toutes ces raisons, je ne blâmerai jamais celles qui choisissent de poursuivre leurs études ailleurs, en attendant des jours plus heureux pour les STEM chez nous. Oui, poursuivre ses études à l’extérieur engendre des frais. Mais il y existe des programmes de bourses comme par exemple le ‘programme régional Afrique subsaharienne’ de la fondation l’Oréal (dédié exclusivement aux femmes en science) ou la « bourse de recherche du CRDI » du Canada. Les possibilités de financement sont là, il faut s’informer et tenter sa chance.
1 Commentaire
Salut Aïcha, blog bi moom fan nga ko dinthion bala muy doon li nééw li ma ci jota lire…
C’est tout simplement extraordinaire. Félicitations, tous mes encouragements. Ça nécessite beaucoup de courage, de sacrifices, d’amour du travail et d’abnégation. Full of knowledges. Merci et bonne continuation. Portez-vous bien.