[178]. Ong Jamra vs la série MDHM : que retenir de la décision du CNRA ?
Le différend entre l’Ong Jamra vs la série MDHM semble avoir connu son épilogue. Ce 29 mars 2019, le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) a rendu sa décision. Le régulateur, « conformément à sa mission de veiller au respect des dispositions de la loi » pertinente en la matière a décidé que :
« Le téléfilm pourra continuer à être diffusé, sous réserve des mesures correctives à apporter. La non prise en compte des remarques du Collège faites ci-dessus, notamment en révisant le contenu, pourrait avoir comme conséquence le retardement de l’heure de diffusion ou l’interdiction de la diffusion du téléfilm par le CNRA »
Cette décision fait suite à une plainte du Comité de Défense des Valeurs Morales au Sénégal, le 31 janvier 2019. Ce regroupement se plaignait notamment et selon « les extraits remis » de :
- propos, comportements et images jugés choquants, indécents, obscènes ou injurieux
- scène de grande violence ou susceptible de nuire à la préservation des identités culturelles
La pliante a été déposée le 31 janvier 2019 auprès du Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel. L’instance veille notamment :
- à l’indépendance et à la liberté de l’information et de la communication dans le secteur de l’audiovisuel. ;
- au respect de la loi et à la préservation des identités culturelles, à l’objectivité et au respect de l’équilibre dans le traitement de l’information véhiculée par les médiats audiovisuels.
- à la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence dans les contenus des programmes.
C’est donc à ce titre qu’il a accepté d’examiner la plainte et pris la décision que nous savons. Pour faire très simple, retenez que selon le Conseil et le Comité, la série Maîtresse d’un homme marié a heurté (notre) conscience. Je ne saurais pas vous dire les valeurs morales qui ont été remises en cause ni le référentiel d’analyse. Il est possible que je sois si impudique pour ne pas être « offensé » par ces mots et images.
En tous les cas, le verdict est tombé et a soulevé à juste titre beaucoup d’interrogations. Je suis un adepte des séries sénégalaises et il faut admettre que les productions évoluent de mieux en mieux. Avant cet épisode, j’avais publié sur billet sur la valeur éducative des téléfilms sénégalais. C’est un débat qu’il nous faut avoir afin d’influencer et de suggérer un contenu qui s’aligne sur notre projet de société. Tout le contraire de cette histoire qui ressemble plus à un déni artistique, loin d’un « patriotisme culturel » d’ailleurs.
A t-on ignoré la touche artistique du téléfilm ?
J’ai évoqué plusieurs réactions à la suite de la décision du CNRA et je choisis d’en commenter deux. La première est d’Alioune Tine, plus connu pour son militantisme pour les droits humains. Il est aussi sémioticien, donc un spécialiste des signes verbaux et non verbaux, et qui a enseigné l’esthétique des genres. Alioune Tine, que je rends hommage pour ce qu’il continue de faire pour ce pays a réagit sur son compte Twitter.
Le CNRA a-t-il lu le titre du téléfilm « la maitresse d’un homme marié », une création artistique qui signale sa langue, sa poétique, son imaginaire. Ils sortent la constitution pour demander de couper des scènes. Est-ce pensable de couper la scène d’adultère de Ceddo de Sembene. https://t.co/GxeyAZblWC
— Alioune Tine (@aliounetine16) 30 mars 2019
Je ne suis pas sûr que le collège du CNRA ou les membres du Comité des valeurs se soucient de l’art ou du cinéma. Oui, il y’ a des artistes au Conseil mais je n’ai pas ouïe de la contribution de l’instance en cette matière. Et puis ici, quand on évoque la régulation, on pense à la sanction, sans plus.
Au delà, quelle a été la position de la communauté culturelle dans cette affaire ? Entre le dépôt de la plainte et la décision intervenue, deux mois se sont écoulés. Étaient-ils d’accord avec le Comité des Valeurs ? J’aurais apprécié que le monde du cinéma donne une grille de lecture à l’opinion et au CNRA sur la spécificité de la matière. Ou alors s’est-on dit finalement que affaire bi dou moudjou féneu ? 🙁
Sachez cependant que les décisions du CNRA peuvent être attaquées devant la Cour suprême. Il s’agit d’un recours classique en annulation devant sa chambre administrative (ancien Conseil d’Etat). Le requérant peut s’il le souhaite l’accompagner d’une demande de sursis à exécution même. La loi instituant le Conseil prévoit que le recours n’est pas suspensif mais la procédure reste disponible. Il appartiendra aux producteurs de juger de l’opportunité de son usage
Je voudrais à présenter commenter le tweet sur la « publicité faite à la série ».
A t-on fait de la (bonne) publicité au téléfilm ?
Pour introduire la discussion sur ce point, je choisis le tweet de Hamadou Tidiane SY. Tidiane est journaliste et mieux, le directeur de Ejicom, une école qui forme aux métiers du journalisme et de la communication. En un comme en mille, son établissement veille à ce que les apprenants / professionnels assimilent les règles élémentaires de la profession. Il notait ceci:
Les créateurs de la fameuse série doivent se frotter les mains. On devrait accuser ceux qui ont porté plainte de…complicité !
— Hamadou Tidiane SY (@tidianeouestaf) 30 mars 2019
C’est vrai que certains l’ont découvert suite au tollé soulevé par cette saisine du CNRA par Jamra et le Comité des valeurs. Il faudra analyser ce « nouveau public » et quel pourrait en être l’apport. Je doute que ceux-là aient été la cible première de la production, surtout qu’on n’est plus loin des 20 épisodes. Quand bien même, on consent à y voir de la pub, je ne suis pas assuré que cela aurait été l’option de la production. Pour éviter le contentieux, ils ont même admis que Jamra rejoigne l’équipe de scénaristes. Dotoumako sétane, doumako def.
J’aurais acquiescé si le CNRA avait débouté le Comité des valeurs de sa plainte, que je continue à juger infondée. Elle est recevable parce que le Conseil reçoit plainte d’individus et d’organisations, mais reste infondée. En tous les cas, le régulateur a avertit qu’en cas de non respect des « mesures correctives », des sanctions seront appliquées. Ainsi, l’heure de diffusion pourrait déjà être retardée ou la diffusion simplement interdites.
Ils devront désormais changer le contenu et la série risque de perdre de son attrait. Je ne doute pas de la créativité des promoteurs de la série mais j’attends de voir quelle direction cela va prendre. J’ai suivi toutes les épisodes du téléfilm Maîtresse d’un homme marié et je l’aime telle quelle. Les « manières » et ces « façons » des acteurs renvoient à nos quotidiens non officiels mais certains ne veulent plus l’avoir sous les yeux.
Faire jouer les mécanismes institutionnels
Le Comité de Défense des Valeurs Morales au Sénégal et Jamra ont une stratégie très claire pour faire aboutir leurs causes. Ils exploiteront, à chaque fois que de besoin et à leur profit, les mécanismes sociaux et institutionnels. N’avaient-ils pas prévu d’organiser une marche de protestation au cas où la plainte n’aboutirait pas ? Peut être même qu’une tournée dans les familles religieuses était prévue pour « vendre la marchandise ».
Aujourd’hui, ils ont encore obtenu gain de cause. Cette série n’est que la récente « victime » du Comité des valeurs. Il y’a eu l’épisode Déesse Major et le livre qui a blasphémé, en attendant le prochain épisode. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin lorsque l’activisme porte ses fruits ? De victoire en conquêtes, ils continueront à influencer notre quotidien, ils décideront de ce qui est bon et halal pour nous. Qui peut le leur reprocher ?
Je ne pense pas qu’il faut taper sur le CNRA dans cette affaire. On peut cependant se hasarder à dire que Maîtresse d’un homme marié n’aurait pas connu de réactions notoires n’eut été cette plainte. Le téléfilm en est à sa 17e épisode diffusée sur Youtube et la 2STV, en prime time. Jamais, du moins officiellement, le Conseil ne s’en est offusqué. 17 épisodes la wakh dé, en raison de deux par semaine au moins. Sauf si ses services de monitoring n’avaient jusque là pas visionné une seule diffusion.
Je retiens juste que Jamra et le Comité des valeurs ont fait jouer les mécanismes institutionnels pour imposer leur manière de voir. Rien de si compliqué dans un Etat comme le Sénégal. Plus j’évolue dans mes recherches banales, plus je me rend compte que tout ou presque est réglementé. En sommes-nous conscients ? Les connaissons-nous et surtout à quelle fin nous devrions les utiliser ? C’est à mon sens toute la problématique que soulève cette décision à mon niveau.
2 COMMENTAIRES
Les interdictions à tout-va commencent à bien faire. Qu’elles soient du domaine de l’art et de la culture, c’est encore plus grave. Quelle est la légitimité d’ailleurs de ces bien-pensants? Et toujours les memes. Enseigne-t-on nos us et coutumes à nos enfants? Leur parle-t-on des hommes et femmes qui ont fait et qui font aujourd’hui l’histoire du Sénégal? Enfants qui sont par ailleurs à l’heure d’internet et des réseaux sociaux. Autant de questions qu’il faut régler pour ne pas avoir peur de l’ouverture du pays à toutes les influences.
Nous avons la même attitude vis-à-vis de tout ce qui nous vient d’ailleurs. Au lieu de les adopter afin de les adapter, nous développons une attitude de déni. Du coup, nous sommes peu en mesure d’éduquer nos populations à son usage. Cela nous tombe dessus et comme une massue, cause beaucoup de dégâts.
Toutes les personnes du 3eme âge ont une assertion pour les réseaux sociaux parce que c’est une réalité qui les dépasse. Faut voir les déclarations ici et là de nos dirigeants. Nous devons revoir notre perspective