[215]. Les réseaux sociaux dans la culture démocratique au Sénégal
Il y’a quelques jours, le Réseau des Blogueurs du Sénégal a organisé une rencontre des blogueurs et utilisateurs du Net dénommée #Ndadjetweetup. La 18e session de cette rencontre faisait focus sur l’engagement citoyen à travers les réseaux sociaux notamment en mettant l’accent sur les nouvelles formes de citoyenneté qui naissent et s’épanouissent sur Internet.
Il faut dire que la plupart du temps, lorsqu’on évoque les réseaux sociaux dans le débat grand public, c’est souvent à la suite de frasques. C’est ainsi que médias et pouvoirs publics voient les réseaux sociaux : un outil d’aliénation et de désordre du milieu social.
C’est pourquoi d’ailleurs, l’essentiel de la règlementation en la matière reste répressif. Il vous suffit de revisiter les lois dans le domaine de la communication numérique ou de la cybercriminalité pour vous en rendre compte.
Autre chose d’encore plus important est pourtant en train de s’y développer. J’évoquerais deux initiatives pour illustrer cette nouvelle dynamique : le deuil national et les interventions de la Team Niintche.
Lorsque plusieurs jeunes compatriotes ont répondu à l’appel des mers, ils en ont perdu la vie par centaines de milliers. A ce jour, il n’y a pas encore de consensus sur les chiffres. Le gouvernement du Sénégal, par la voie du Président de la république a parlé d’une dizaine de victimes.
Quatre jours après, le Secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres faisait état de 140 pertes en vies humaines au niveau des côtes sénégalaises. Son tweet reprenait les données fournies par la branche des Nations Unies qui s’occupe de la migration, l’OIM et rappelait par la même occasion la nécessité d’assurer des routes plus sûres et non la fermeture des frontières.
Plusieurs jours après, à la suite d’autres annonces de disparitions, il était également attendu que le Président se prononce sur cette tragédie. Il devait désormais avoir assez d’éléments pour se faire une idée de l’ampleur des pertes en vies humaines. Que nenni! Jusqu’au moment où ces lignes sont écrites, aucune communication gouvernementale n’est faite.
Ooops, pardon. Le gouvernement a évoqué le sujet lors d’une réunion du Conseil des ministres. Du moins, si l’on s’en tient à la déclaration du désormais Secrétaire général du Gouvernement Abdou Latif Coulibaly. Invité le 15 novembre 2020 à l’émission GrandJury de la RFM, il justifiait ce silence par « une impossibilité et non une incapacité » à connaitre le nombre de départs et par conséquent de victimes.
Ne dit-on pas qu’à l’impossible nul n’est tenu? Kone nak haala gassi! Il n’y a plus rien en à attendre. Et ce n’est pas une langue qui a fourché. Ce déni a été confirmé par le ministre de l’Intérieur Antoine Felix Diome le 24 novembre 2020 lors du « Face à la presse »
Le gouvernement n’a pas de chiffres sur le nombre de morts, on n’a pas assez d’éléments pour se prononcer et le gouvernement n’a pas vocation à dénombrer les morts mais plutôt à résoudre les problèmes des sénégalais.
Antoine Felix Diom, ministre de l’Intérieur, 24 novembre 2020
Venant d’un ministre de l’Intérieur, membre d’un gouvernement qui a, à sa disposition, les services de sécurité notamment le renseignement civil et militaire. Le rédacteur en chef de E-Media Babacar Ndaw Faye se posait à juste raison des questions sur l’efficacité du dispositif.
Mais enfin, comme nonou la démé, niou diap si lolou. Buvons notre bissap à leur santé et prions le Bon Dieu.
En vérité, la question fondamentale que soulève cette situation renvoie à la valeur que nous accordons à nos vies. Ce n’est pas qu’une vie a plus de valeur ailleurs qu’ici. Du tout! Elles se valent toutes. La différence est plutôt à rechercher dans la symbolique et l’attitude d’un dirigeant ou d’un pays face à un phénomène de cette ampleur.
Pas de chiffres, pas de morts. Pas de morts, pas de deuil
Rageant ! Quelle est donc cette « nouvelle humanité » qui nous gouverne?
Nos gouvernants n’ont pas été à la hauteur du leadership qu’ils se devaient d’incarner. Le peuple a relevé le défi. C’est toute la signification de la journée de deuil national célébrée ce 13 novembre 2020
Une tragédie s’est jouée sous nos yeux. Des ami-es, des parents, des frères et sœurs, des cousins, voisins de quartier ont souffert jusqu’à vouloir partir. Ils ont souffert en cours de route. Ils ont perdu la vie, en toute désespoir. Et effectivement, nous ne pouvions faire comme si de rien n’était
Vous pouvez encoure retrouver tous les tweets publiés par les internautes sur le réseau social Twitter en cliquant ici
Cette journée de deuil a été suivie quelques jours après d’une marche silencieuse initiée par d’autres compatriotes. Elle a également été largement suivie et relayée par les médias et la communauté en ligne.
La mobilisation autour de cet évènement a repositionné le citoyen au cœur de l’action publique. Je suis d’avis que c’est un pas important à documenter et à encourager afin que la citoyenneté retrouve sa place. N’en déplaise à ceux qui ont voulu minimiser la mobilisation parce qu’elle a eu lieu … en ligne.
Internet élargit le champ des possibles
Deux choses au moins sont à préciser sur la participation citoyenne en ligne.
Internet est un espace, ni plus ni moins important que l’espace physique dans lequel nous évoluons. Aujourd’hui, Internet, avec ses codes et exigences, permet de vulgariser des messages sans passer par des intermédiaires institutionnels comme les médias ou la représentation. Il a ceci de particulier qu’il met sur le même pied les émetteurs et les récepteurs d’informations. Cela en fait un outil de mobilisation et de participation en masse
Le second élément tient au fait que toutes les mobilisations n’ont pas besoin d’avoir un prolongement sur le terrain pour obtenir l’effet escompté. Une action peut bien naitre en ligne, s’y développer et performer sans que les participants ne quittent leurs moelleux fauteuils de leurs salons. Ceci est aussi valable pour l’activisme politique, économique que social.
Je ne nie pas le fait que l’outil peut générer ses propres limites du fait de son utilisation. C’est pourquoi d’ailleurs, nous devons travailler davantage à mieux nous organiser pour coordonner les actions et éviter au mieux les dissonances dues à la multiplicité des points d’informations.
Nous devons dès à présent agir sur deux leviers : l’éducation à l’usage du numérique et la lutte contre les fausses nouvelles. Si vous avez des idées à partager sur ces deux éléments, nous serons heureux de vous lire en commentaires.