[39]. Les « taxi clando » dans une illégalité parfaitement organisée
Nous voudrions aujourd’hui introduire une discussion sur les « taxi clando ». J’ignore si la dénomination est officiellement inscrite dans les annales du transport urbain à Dakar mais ces véhicules d’un type particulier y ont leur place. Dans certaines localités du pays d’ailleurs, ces clandos restent les seuls moyens de transport existants. Ils sont reconnaissables à leur « mauvais état » et restent en constante situation d’illégalité. Toutes choses qui constituent un danger pour les usagers de la route et les clients mais puisqu’ils sont encore là, il vaut mieux faire ses prières et monter. Dieu veille.
Si l’on se base sur ce que tout le monde semble avoir compris, « clando » vient de clandestin. L’expression a été accolée à ces véhicules du fait qu’ils sont en infraction permanente au regard des règles du code de la route. Le dictionnaire Larousse dit de clandestin « ce qui se fait en secret ou en cachette, qui est en contravention avec les lois et règlements; qui se dérobe à la surveillance ou au contrôle de l’autorité« . Qui dit mieux ?
Je me remémore encore de cette histoire que mon Oncle Massamba m’avait raconté. Nous étions à cet époque en de bons termes et il lui fallait me léger ses savoirs engrangés toute sa petite vie durant. Je suppose que l’histoire est vraie, tout comme toutes celles qu’il me racontait. C’était en tout cas le deal entre l’oncle et le neveu.
Un jour, me dit-il, alors qu’il était passager à l’avant d’un taxi clando, le chauffeur lui tendit une corde. Celle-ci provenait du dessous du tableau de bord du véhicule et l’instruction était très clair. Il ne fallait pas le lâcher sur tout le trajet et il fallait qu’il la lui rende avant de descendre. J’ai transcris puisqu’il me l’a raconté en wolof. Voici le message tel qu’il l’a reçu du chauffeur « bul baayi buum gi. Tëyal mako bu baaxa baax te boy wacc delomako. Japp si te dimba li nu ».
Comme à son habitude, Tons ne se sentait obligé de respecter aucune consigne. Pris certainement dans les pensées que lui imposait sa situation sociale très tendue, à l’époque, il lâcha effectivement le bout de corde. Et vlan! Il y’eut un bruit qui fit sursauter les passagers, immédiatement suivi du juron ******** du chauffeur. Tons avait lâché la corde, la corde qu’on lui avait confié et qui servait à maintenir une pièce de la voiture. Le moteur n’étant plus bien suspendu, a commencé à trainer sur l’asphalte. Fin du trajet.
Voilà son histoire à lui. Revenons à la réalité des taxis clandos.
Soumis au registre des véhicules particuliers
Des taxi clando, retenons deux choses principalement : leur illégalité constatée et les tentatives des chauffeurs pour se conformer à la règlementation.
Au moment où nous publions ce billet, les taxis clandos sont encore sous le registre des voitures particuliers. Ils sont donc assujettis à la souscription d’une assurance de 18 000 francs chaque trimestre. En comparaison, un taxi paie 21 000 francs CFA chaque mois, ainsi que des droits de stationnement (3000 francs) en plus de l’exigence d’un livret. En parlant des droits de stationnement d’ailleurs, c’est le principal argument brandi par certains chauffeurs de taxis lorsqu’on évoque leur mauvais stationnement.
Et vous savez quoi ? Divers chauffeurs de clando que nous avons interpellé sur ce registre, disent être prêts à payer les mêmes montants que les taxis mais buttent sur l’intransigeance des autorités. Si donc ils sont dans une illégalité, rien n’est fait pour les en sortir. Ce n’est pas faute d’avoir essayé.
Il ne leur reste dinc qu’à mieux gérer les premiers mardi ou mercredi de chaque mois. C’est à ces moments que le contrôle de la police se fait plus hardi. « Tay am na opérations » comme ils disent, se passant le mot, les points ou circuits à éviter. Une solidarité agissante.
Je ne parlerai pas de raquettes au risque de me faire coller le délit d’outrage à agents. L’affaire Metzo Diatta du nom du producteur de la célèbre série télévisée « Dinama Nekh » est encore récente.
Eternel « jeux du chat et de la souris »
Les contrôles, dites opérations, effectués par les forces de sécurité aux périodes que nous avons indiqué plus haut, laissent place à de véritables manoeuvres. Au delà des stratégies individuelles que chaque chauffeur développe, tout un système de communication et de partage d’informations est mis en branle pour ne pas se faire prendre. « Fofu baaxul deh » revient fréquemment. C’est pour indiquer à un chauffeur de clando que l’agent est posté sur le parcours et qu’il vaudrait mieux trouver son chemin ailleurs.
En cas d’infraction constatée, le chauffeur doit en principe s’acquitter d’une amende de 12 000 francs pour éviter la mise en fourrière de son véhicule. C’est là qu’entre en jeu les qualités de négociateur du chauffeur. Payer douze mille francs n’est pas une option envisageable et puisqu’on est déjà dans l’illégalité, il n’est pas plus mal de marchander pour obtenir une réduction. Qui ne tente rien n’a rien, et un coup de chance peut arriver tant qu’on ne tombe pas sur l’autre là. « Amul Yaakar ». L’espoir nous fait pourtant nous lever chaque matin.
@bdulaye les chauffeurs ont tous peur d’un policier nommé Amoul Yakaar
— Tonton Diam (@PapeDiam) 10 Septembre 2014
Je n’ai pas encore eu l’occasion de le rencontrer bien que je me sois déplacé jusqu’au commissariat pour confirmer tout le « bien » qu’on pense de lui. Amul Yaakar signifie littéralement « aucun espoir ». Aucune chance de le corrompre, aucune chance de négocier l’amende avec lui. Il vaut mieux ne pas l’avoir sur son chemin. Amul yaakar !
D’ici à ce que les autorités les régularisent, ce qui n’est pas prêt d’arriver notamment du fait d’une réticence supposée des taxis « jaune et noir », ils s’organisent. Les clando ont des garages connus de tous et au vu de tout le monde. Ils se positionnent sur des parcours spécifiques et imposent même aux clients de faire la queue.
Alaaji Abdulaay