[180]. Le contenu citoyen résulte de la faiblesse de l’offre journalistique
Le contenu citoyen a-t-il supplanté l’offre des médias classiques? C’est l’interrogation auquel je tente de répondre avec toute la relativité de l’argumentaire qui suit.
J’ai participé ce 17 avril 2019 à un débat initié par l’école de formation en journalisme Ejicom et la Fondation Boell autour de la problématique des médias et de la citoyenneté : deux leviers de la démocratie, entre confrontation et complémentarité. Le panel était organisé dans le cadre des « invités du mercredi« , une « rencontre qui offre un cadre d’échange entre étudiants et professionnels de haut niveau – écrivains et grands intellectuels, journalistes, hommes de culture, experts en communication« .
J’y étais invité parce que je produis du contenu dans un média en ligne qui s’appelle Wa Mbedmi. Ma présence se justifiait également pour l’intérêt que je porte aux questions relatives à la citoyenneté. C’est donc avec plaisir que je suis allé confronter certaines de mes idées avec d’éminentes personnalités du monde des médias.
La citoyenneté est en vogue dans plusieurs sociétés dans lesquelles les individus se prennent en main. Ils réagissent ainsi parce que leurs besoins sont peu ou pas pris en charge par les acteurs classiques. Ces manifestations varient donc d’un milieu à un autre selon plusieurs facteurs. En tous les cas, la conjonction de facteurs internes et externes ont été à la base de cette prise de conscience.
Bien qu’il ne soit plus nécessaire de théoriser la citoyenneté, il nous faut quand même lui donner un contenu. Wikipedia la définit comme « le fait pour un individu, une famille ou un groupe, d’être reconnu officiellement comme citoyen, c’est-à-dire membre d’une ville ayant le statut de cité, ou plus généralement d’un État« . Nous y sommes: une relation de pouvoirs.
Dans notre forme d’organisation, nous avons les pouvoirs législatif et exécutif dont les principaux animateurs ont été choisis par les populations. En élisant de façon régulière des dirigeants, nous établissons une relation de collaboration, base de notre contrat social. Cet entente, cher à Jean Jacques Rousseau, implique un abandon total et inconditionnel par chaque individu de ses propres droits naturels afin d’obtenir les droits associés à la citoyenneté.
Ce rapport d’engagement doit ,dans tout Etat démocratique, faire l’objet d’un suivi et d’une évaluation réguliers. C’est à ce niveau surtout que je situe la pertinence de l’action des médias dans le processus de construction d’une citoyenneté. Ils doivent, au quotidien et au profit du plus grand nombre, oeuvrer inlassablement à façonner et nourrir cette conscience citoyenne, communément appelée opinion publique.
Ce n’est pas un rôle exclusif et je ne doute pas que certains s’y essaient, en parfaite conscience ou sans s’en rendre compte. Le souci vient plutôt de l’appréciation générale qu’on a de la production médiatique. Le divertissement a pris le dessus sur l’éducation et ce n’est pas abusé de le dire. On peut bien sûr éduquer en divertissant sauf qu’on est dans notre cas, sur du pur mercantilisme.
Le sap deugine ndatt say n’éduque pas ni d’ailleurs le table yaay ngoné. Ce sont certes des noms d’émissions qu’on peut situer sur une chaine mais les déclinaisons sont partout pareilles. L’attribution d’une fréquence radiotélévisée est pourtant sujette à un bon équilibre à trouver dans les grilles de programme.
Je ne dis pas qu’il faut bannir la publicité parce qu’un média est aussi une entreprise privée avec des charges. Au delà du fait qu’elle échappe à tout contrôle, l’omniprésence du divertissement a entrainé une faiblesse de l’offre. Ils sont de ce fait concurrencé par d’autres acteurs qui tant bien que mal, essaient d’assumer et d’assurer ce rôle de construction citoyenne.
Bienvenue aux « envahisseurs »
Qu’on les appellent blogueurs citoyens, journalistes citoyens ou médias citoyens, ces nouveaux arrivants ont profité d’un contexte particulier. J’évoquais plus haut la faiblesse mais l’arrivée de nouveaux outils a également accéléré cet intrusion. J’utilise ces expressions parce que c’est ainsi qu’on est vu et les « professionnels » ne cessent de nous le répéter. « C’est pas votre rôle, voilà ».
Ce n’est trop qu’on le fasse bien ou mal, juste que la fourniture d’une information obéit à des règles que nous ignorons. Soit. Personnellement, je ne me suis jamais pris pour un « professionnel de l’information et de la communication ». Je suis blogueur et j’opine sur des questions qui m’interpellent et intéressent mes lecteurs. On n’a pas besoin de visa pour le faire et on devra donc souffrir de notre présence 🙂
En réalité, ce débat détourne nos attentions, nous distraient et élargit davantage le fossé entre les acteurs. Il suffit juste de prêter attention à l’environnement numérique pour se rendre compte de la panoplie d’outils « civic tech ». Ils font référence à l’usage de la technologie dans le but de renforcer le lien démocratique entre les citoyens et le gouvernement. Cela englobe toute technologie permettant d’accroître le pouvoir des citoyens sur la vie politique, ou de rendre le gouvernement plus accessible, efficient et efficace.
En 2015, un rapport de la Fondation Knight a classé les différents projets de la civic tech en deux grandes catégories : ouverture du gouvernement et participation citoyenne. Cette implication active dans tout ce qui touche à notre quotidien se renforce avec les réseaux sociaux. N’importe quel citoyen a aujourd’hui la latitude d’interpeller son élu et de lui demander des comptes. Chaque citoyen peut également mobiliser autour de lui pour compenser une défaillance d’une autorité publique.
Désormais, ce n’est plus à un média de juger un sujet digne d’être partagé avec les sénégalais, les africains ou le monde. Je peux, avec mon téléphone, une connexion mobile et le wifi de ma voisine, me positionner en acteur à fort potentiel. C’est là où nous en sommes aujourd’hui et pas dans les petites querelles de qui doit et qui ne peut pas.
Bâtir ensemble un projet de société numérique
Soyons réalistes. Les médias ne disparaitront pas ou alors pas du fait de la survenue de ces nouveaux acteurs. Il reste que leur influence pourrait sensiblement diminuer si les « professionnels » ne s’adaptent pas à la donne actuelle. Aujourd’hui, les citoyens s’engagent d’eux-mêmes, dagno beuga bok té dagn wara bok, ils ne se satisfont plus de la représentation.
Oui, tout est encore balbutiant. On semble être dans un désordre et tout semble partir dans tous les sens. Cette situation n’est acceptable que lorsqu’elle est temporaire parce que tout apprentissage draine son lot d’erreurs. Puisqu’on ne peut plus revenir en arrière, plus vite nous franchirons ce cap, plus vite nous exploiterons au mieux les opportunités de ces outils.
Il y’a cependant des préalables. Il faudra d’abord que les médias classiques reconnaissent ces nouveaux arrivants comme des acteurs et entrent en collaboration. Personne ne doute aujourd’hui que Facebook et Twitter sont devenus un vivier d’informations pour un média. Avec leurs techniques éprouvées, ils doivent être en mesure d’en sortir quelque chose de plus pertinent, au delà du copier coller.
Cette collaboration permettra aux professionnels et aux utilisateurs d’échanger sur les meilleures pratiques. Il ne s’agira pas de phagocyter un métier au profit d’un autre, mais de reconnaître les spécificités d’intervention et de s’influencer mutuellement. Si ce travail n’est pas pris en charge par les « professionnels », d’autres le feront, avec plus ou moins de réussite et à leur détriment.
Il faut ensuite que tous interviennent dans l’éducation à l’usage des outils du numérique. Nous avons déjà un document de politique appelé Sénégal numérique 2025 et un conseil national du numérique. Cet arsenal doit être complété par des programmes de sensibilisation en direction des masses. Il est impératif que les générations connectées se rapprochent et les médias, classiques et citoyens, ont un rôle primordial à jouer.