[254]. La prise en charge des malades mentaux nécessite une gestion concertée
« Doff », « fou », « ku xel am neexul » ou « malades mentaux » sont des noms qui qualifient certains membres de notre corps social qui souffrent d’insuffissance ou de déficience. En règle générale, ils sont abandonnés à eux-mêmes, craints, fuits parce que nous les voyons comme un danger. Il arrive cependant que certains d’entre-nous décident de s’investir pour leur porter assistance, les accompagner dans cet aventure de vie.
Pour en savoir un peu plus sur leurs prestations à la communauté, nous les avons invité à dialoguer lors du forum du 23 octobre 2022 du Divan citoyen. L’occasion nous a donc été donnée de mieux comprendre les besoins des malades mentaux, les contraintes sur les familles et l’entourage sans oublier les procédures en matière de prise en charge. Auparavant, revenons sur l’histoire de Hamet Daf et Ibrahima Seck, deux militants de la promotion de la santé mentale.
Une histoire d’empathie
Pour Hamet, juriste de formation, son compagnonnage avec les malades mentaux a commencé depuis le collège. Son activisme a connu un pic lorsque la Covid 19 est apparue au Sénégal. Les autorités avaient alors décrété l’état d’urgence en demandant aux populations de rester chez elles, de se laver les mains et de porter des masques. Constatant que personne ne semblait se soucier des malades mentaux, Hamet a pu, avec l’aide et le soutien du Préfet du département de Rufisque, aménager une école avant de déménager dans une maison. Depuis, ses pensionnaires sont considérés comme membres de sa famille.
Lorsque j’étais jeune, j’aimais aussi donner à manger à des personnes que je dépassais dans la rue. Plus grand, je fréquentais également des amis dont certains souffraient de trisomie 21 et j’ai pu mieux avoir conscience des besoins spécifiques de certaines personnes
Hamet Daf, Délosi
Cet empathie, Hamet la partage avec Ibrahima Seck, l’initiateur de Help and clean mind. Architecte de profession, il aide depuis 2016 des familles à trouver un logis. C’est dans ce cadre qu’il identifie, assiste et assure le suivi des malades mentaux en rapport avec les préfets et gouverneurs de région. Aujourd’hui, son association intervient à Dakar et aux environs tandis que Délosi a ouvert un centre d’accueil à Rufisque avec l’ambition d’une couverture nationale.
Aujourd’hui, Hamet Daf et Ibrahima Seck ont la possibilité de récupérer des déficients mentaux errants. Ce qui n’était pas facile surtout que pour mobiliser les Sapeurs pompiers, il fallait une réquisition du Préfet ou du Gouverneur, un acte administratif valant autorisation d’internement. Le malade mental est convoyé à l’hôpital psychiatrique de Thiaroye mais sa prise en charge est supportée par la personne qui l’y a amené.
D’abord et avant tout une maladie
Les malades mentaux souffrent de pathodologies et celles-ci se soignent dans les établissements sanitaires. Aujourd’hui, les dépenses afférentes à la prise en charge des malades mentaux peuvent peser lourdement sur le budget des ménages, dans les cas où un traitement est envisagé.
Les frais dont il faut généralement s’acquiter concernent notamment :
- le ticket de consultation (5 000 francs CFA),
- le lit d’hospitalisation d’urgence (3000 francs CFA par jour),
- l’internement à 3000 francs CFA par jour
- les médicaments dépendant de l’état de santé du patient et de sa pathologie. D’ordinaire, les montants excèdent rapidement 35 000 francs CFA
- un accompagnant payé 50 000 francs CFA tous les 15 jours
- etc.
L’hébergement et la prise en charge du membre de la famille qui accompagne le malade est également un coût à inclure. Quatre établissements sanitaires dont les trois sont à Dakar semblent être les seules établissements en mesure d’assurer une prise en charge des malades mentaux. Si donc le malade mental habite une autre ville, les charges s’alourdissent. Il arrive donc souvent que faute de ressources, un traitement commencé soit interrompu.
Il est vrai qu’on a tous grandi avec l’image d’un fou furieux et violent qui dégrade et violente tout sur son passage. Si on ne peut nier le fait que la maladie peut entrainer de la violence chez la personne qui en souffre, il reste que cet image est à relativiser, au vu du constat de ceux qui les assistent. Et d’ailleurs tout ceux qui subiront ce qu’on fait subir aux malades mentaux pourraient exprimer de la violence en retour.
En 1987, par exemple, la National Mental Health Association rappelait que « les personnes atteintes de maladie mentale ne sont pas plus à risque de réaliser un crime que les autres membres de la population générale » pour autant que les problèmes de prise d’alcool et de drogue soient exclus. Si la question de la violence des malades mentaux vous intéresse, vous trouverez plus d’éléments ici
D’ordinaire, les familles éprouvent de la gêne ou de la honte lorsqu’un malade mental est membre de la famille. La tendance de les enfermer, les attacher ou de les laisser dans la rue devient grande ou le seul moyen à leur disposition. La sensibilisation sur les origines de la maladie, ses manifestations et la possibilité d’une guérison peuvent jouer un rôle important dans la prise en charge.
Il faut une mobilisation multiacteurs
Sur le plan institutionnel, il serait utile que les malades mentaux soient considérés dans leur handicap. Ce repositionnement pourrait les faire bénéficier des programmes sociaux comme la couverture maladie universelle ou la carte d’égalité des chances. En sus de leur facilitera (et à leurs familles ou associations) l’accès aux soins de santé, le message aux populations sera mobilisateur.
Une des conséquences sera de renforcer les capacités des établissements sanitaires afin que la prise en charge médicale communautaire soit effective. Cela va également impacter positivement sur la mobilisation de ressources pour le compte de la Division de la santé mentale au sein du ministère de la santé et de l’action sociale. L’entité fait déjà beaucoup en accompagnant des associations qui soutiennent les malades mentaux.
Les pouvoirs publics devront également s’investir dans la sensibilisation des populations et susciter une solidarité à l’endroit des malades. Dans cette perspective, les prêcheurs et leaders d’opinion constitueront de véritables relais. Ils pourraient également compter sur le réseau de promotion de la santé mentale au Sénégal (REPOSAMS) mis en place en 2019 et regroupant 25 associations et organisations au Sénégal.
La mobilisation inclura également les collectivités locales. Ces dernières pourraient par exemple mettre en place des fonds de soutien aux familles ou des centres sociaux. Elles pourraient également soutenir les associations qui souhaiteraient mettre en place des centres d’accueil. L’association Help and clean mind par exemple dirigée par un architecte, est disposée à construire un centre dès qu’un terrain lui sera alloué.
Tous ces initiatives devront être soutenues par une réelle politique de gestion des données; autant sur le nombre de patients que les causes. C’est ce qui permettra d’asseoir une politique de prise en charge efficace, ce qui reste une vieille doléance de Ansoumana Dione, président de l’Association de soutien et de suivi aux malades mentaux (Assamm).
D’ici là, n’hésitez pas à soutenir les associations Délosi et Help and clean mind. Elles ont du mérite.